28 octobre 2002

Conjugaisons relativistes
[Contribution à l'OuGraPo, ouvroir de grammaire potentielle]

Le fait que nous ayons seulement trois catégories principales de temps (présent, passé, futur) souligne que notre grammaire date d'une époque où la physique galiléenne suffisait. Cela fait maintenant presque un siècle que la relativité einsteinienne a établi l'existence d'une quatrième classe d'événements, et il est donc urgent de définir les conjugaisons correspondantes.

Rappelons que l'espace-temps est divisé en trois régions indépendantes par le « cône de lumière » (où se déplacent les photons, c'est-à-dire les ondes électromagnétiques) :

Diagramme d'espace-temps
Le sommet du cône est le « présent », sa moitié supérieure le « futur », l'inférieure le « passé », et son extérieur est appelé l'« ailleurs » en relativité restreinte [les régions gauche et droite sont connectées en faisant le tour de l'axe des temps via les autres dimensions spatiales].

Cette notion d'« ailleurs » correspond à tous les événements (positions géographiques à des instants donnés) qui ne peuvent avoir de lien causal avec le présent du narrateur. Par exemple, si une pomme tombe d'un arbre en Australie au moment précis où j'écris ces lignes, je ne peux l'avoir fait tomber moi-même, et cette chute ne peut être la cause de ce que j'écris. En revanche, rien ne m'interdit d'avoir demandé à un ami australien, il y a quelques jours, de faire tomber cette pomme pour moi. Mon être dans le passé a donc pu être la cause de la chute de cette pomme, mais elle est pourtant indépendante de mon être présent. [Tout ceci s'apprend dans les premiers cours de relativité restreinte, et devient beaucoup moins paradoxal avec l'aide de quelques schémas.]

Bref, il nous faut définir les conjugaisons de l'« ailleurs » aux différents modes.

Terminons cet aride exposé par un exemple plus littéraire (dont Julio Cortázar s'est clairement inspiré pour l'une de ses nouvelles) :

Dans ses meubles laqués, Alina Reyes pense
À son alter ego vivrant sans feu ni pain.
Lentement elle enfile un superbe escarpin
Tandis que l'autre au loin se mourrut de malchance.

Son boudoir est cossu, mais malgré la distance
Alina sent le froid de son double au tapin.
La gueuse comprendrit que son reflet rupin
Partage dans son coeur un peu de sa souffrance.

L'une garde les bleus que l'autre recevrut ;
Les plaisirs d'Alina, l'autre les percevrut :
Les deux fusionneraient-elles dans la même âme ?

L'élégante coquette un jour traverse un pont,
Et rencontrant soudain cette indigente femme,
Se retrouve en haillons. L'autre file en pompons.

'Pataphysiquement vôtre (mais de phaçon tout à phait exceptionnelle ;-), Gef_


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Gilles Esposito-Farèse <gef@iap.fr>

Dernière modification : 30 octobre 2002