Énoncé
Pour renouer avec la tradition des jeux hebdomadaires longtemps organisés
sur cette bonne liste, je vous propose pour lundi prochain un exercice assez simple,
histoire de se remettre en forme. Il s'agit d'écrire un sonnet dont les
rimes sont imposées. Les voici :
Réponse immédiate de Nicolas Graner
Picre ! che crois qu'il fa falloir utilicher des prononchiachions
chpéchiales. Ch'est plus tur que te faire courir un steeple à un
beagle !
Et bour arriver à la vin il vaudra un miragle, ou brendre un
audre agzent, mais la je grois que je bousse... hmmm ?
Réponse de Denis Acquistapace
Délire météo-culinaire
J'ai trouvé un arbre, avec un petit creux.
Et je m'y suis niché. Et sous ce beau dais, pleut
tant qu'il puisse! tonne! arrose les haies, pleut
Des hallebardes, moi, je suis recueilli creux.
Cette histoire arrosée, pleine de dits creux
Narre une contrainte, et tant qu'on y est: pleut
Encore des rimes, des mots très niais, pleut
Tous tes alexandrins (oh, midi petit creux!)
Vite, je termine, ou c'est le goulag, le
Camp de travail, pire, sorte de stalag, le
Bureau déménzage, m'emporte. Oh, God! Re-
Prenons nos sens, ivres, chavirés: couscous me
Voilà! la cantine pleine, repaire de Nemrod, re-
Gorgeant de légumes, rôts, pamplemmouss', mets!
La fin est un peu exagérée, mais la faim justifie les moyens!
Réponse de Gilles Esposito-Farèse
Réponse utilisant toutes les astuces que j'ai trouvées,
à savoir dans l'ordre :
enjambements, accents, noms propres, mots anglais,
onomatopées, fautes de frappe, et mots inconnus.
Il me faut pour demain calculer sans anicr-
oche les éléments de cette orbite képl-
erienne. Mais je ne comprends plus rien : le dépl-
acement einsteinien n'est même pas d'un micr-
on ! Che me reficore et ruchis comme un ticre.
J'utilise Maple (qu'il faut prononcer Mèple)
sur un ordinateur Apple (doit-on dire Èple ?)
comme l'a conseillé mon patron Jean-Paul Icre.
J'aimerais m'exclamer : « At last I did finagle ! »
mais je suis congelé par ma bêtise -- agle agle...
Quand pourai-je voir soudre ici bas un peu d'odre ?
La honte m'envahit : je devine que tous m'
accusent de paresse et d'amour de la gaudre.
Gloire à Dieu ! Mon programme a trouvé l'apochlousme !
Jean-Paul Icre
existe vraiment : les moteurs de recherche sur Internet
m'ont appris qu'il est le président de la Fédération de l'Ariège.
Le verbe anglais
to finagle
signifie "réussir quelque chose par des moyens plutôt tordus".
Le protagoniste confirme ici son incompétence en prononciation anglaise,
puisque ce verbe ne rime pas du tout avec l'onomatopée suivante.
L'onomatopée
"agle agle" est attestée comme équivalent d'"aglagla".
Les mêmes moteurs de recherche vous prouveront que la quantité de
personnes à écrire
ordre
sans son premier "r" est inquiétante.
Mon onzième vers élimine volontairement deux autres "r".
Le mot "gaudre" n'existe pas, mais peut être considéré comme une
apocope de "gaudriole".
Le dernier mot pourrait signifier l'apoastre d'une orbite autour de
l'étoile Chlousmos, mais à ce jour aucune n'a été baptisée ainsi. L'"apochlousme" ressemble plutôt à un mot-valise construit sur les
deux précédentes figures de rhétorique : l'apocope et le chleuasme.
Réponse de Didier Bergeret
(En trichant beaucoup pour relever le défi de GEF):
Désespoir d'un dylsexquie
Pour vaincre mon malheur il faut des nerfs da'icre!
Je sais bien où j'habite et comment je m'apleple,
Je peux en général le dire sans bromèple,
Mais c'est plus compliqué dès que je dois l'éricre.
Souvent, plus d'une injure ou d'un mot outranicre
("Forban! bachi-bouzouk! triple tyrodactéple!")
Me parvient de ceux-là qui me trouvent binéple,
Mais comme Édith Cresson, j'en ai rien à ricre!
Car je suis comme vous: ni fourmi ni ciagle.
Dyslexique, il est vrai, mais je n'ai pas la agle!
Je peux rire, pleurer, avoir le coup de fuodre...
Je suis un vieux canif dont la lame s'éoussme,
Je ne puis désormais mettre le feu aux puodres,
Je suis un paillasson fait de caoutchouc-oussme.
Voyons ! c'est évident de pondre un vers en icre
Pas moins d'ailleurs que de terminer avec èple.
La preuve la voici : c'est une rime en èple
Et quelques mots plus loin voilà la rime en icre !
Nul besoin de dico de rimes pour les icre,
Pas plus que de lexique, pour que par le son èple
Finissent les vers six et sept... par quoi ? par èple !
Et qui se pointe en huit ? encore un vers en icre !
D'accord, me direz-vous, mais pour la rime en agle ?
Je vous rétorquerai : aisée la rime en agle !
Et ne me défiez pas de rimer avec odre
Ou de composer des terminaisons en ousme,
Pour trouver un mot qui se clôt par le son odre,
Il suffit d'écrire odre, et c'est pareil pour ousme !
Pièple-Ycre Millodre
Autre réponse de Gilles Esposito-Farèse
Deux autres réponses capillitractées aux "rimes impossibles",
sous forme de sonnets dissyllabiques.
Le premier décrit de façon méprisante certaines
mélodies ennuyeuses, et en donne au passage un exemple ;-).
Le deuxième évoque les détournements d'argent de certaines
églises, qui profitent de la superstition des ouailles, effrayées
de devoir bientôt revêtir un linceul. Ces deux poèmes
immortels sont censés être répétés
indéfiniment, le premier comme une rengaine, le second comme une
prière. Cela permet à la dernière rime en -ousme
d'être respectée ;-).
La serge s'assouvit biais rebelle et drap d'huicre
Gracile à s'étirer affecte un coupon klèple
Sur l'axe où déplier Queneau glisse la guêple
En phosphorant drapier du col qu'on rajusticre
Son signe d'être foi cherche au vent l'accès d'Hycre
Morne gris maquillant anse et bois d'éthélèple
Courbé noir étanché l'on réagit au vèple
Sans qu'un périlleux vers eût expié l'énicre
Sourd ton sol sec ! hourra sous ta gangue à mortagle
Parle et passe et figé voile ce qu'il énagle
Mène à l'Azur envol, houle et hommage prodre
Toute ombre passe mieux au port les clés d'Hassousme
Lisse folle hélice oh ! plonge droit d'où vers l'Odre
Mallarmé vit l'esquif d'aucun isthme et nul ptousme
Je suis le ténébreux, aimant le goût de l'huîcre,
Le prince du Temblay qui fait sauter les crèples
Ma seule poêle est morte, et pas folle la guèple
J'ai mis mon vin en fûts plutôt que dans des licres.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as fait bélîcre,
Rends-moi le Pausilippe et les immenses stepples
La fleur qui plaisait tant à mon coeur en délicre
Et la pampre allié à la rose et aux trèples
Suis-je hongre ou Pégase ... Alezan ou Babbagle
Mon front est rouge encor du goût du pamplemousme ;
J'ai rêvé au pesage et tiré sur la codre
Et j'ai deux fois vainqueur touché la martingagle
En dopant tour à tour par l'avoine et l'arbousme
Le cheval en sa stalle et le jockey aux odres
pcc G. de Cheval
Ses purs ongles très haut dédiant leur onicre,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophodre,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénicre
Que ne recueille pas de cinéraire amphodre
Sur les crédences, au salon vide : nul pticre
Aboli bibelot d'inanité sonodre,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Sticre
Avec ce seul objet dont le Néant s'honodre.)
Mais proche la croisée au nord vacante, un agle
Agonise selon peut-être le décagle
Des licornes ruant du feu contre une nèple,
Elle, défunte nue en le miroir, encousme
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fèple
De scintillations sitôt le septuousme.
Voici les définitions des quelques mots
de ce sonnet qui ne sont peut-être pas familiers à tous les lecteurs.
Angoisse : habitante de l'Anguie (nord-est de la Poldévie).
« Les Angoisses ambrées, des vierges à l'Anguie » (Baudelaire)
bibelot : marchand ambulant qui vend des livres saints dans les foires et
les marchés.
cadre : entre droit et zinc.
minuit : demi-esquimau.
salon : l'une des trois instances de la personnalité allongée, dans la
topique freudienne (les deux autres sont le moellon et le surmoellon).
Désigne également une variété d'olivier originaire de Provence.
vacante : grosse moustache en faveur chez les Basques espagnols.
Le reste ne pose pas de difficulté.
Nicolas, mal armé pour relever ce défi :-/Réponse d'Alain Chevrier
SONNET EN VERS MONOSYLLABES, EN COUPLES FEMENINS ET EN LANGUE INCONNUE
L'équipe
-- Dans les buts : Henri Picre. -- Ah non ! Pierre ! ... C'est Pierre Sicre.
-- "Pierre Sicre ! ... sur le champ ! " -- ... Et Henri ? -- ...? Henri Pèple ?
Sur le banc, Henri Pèple. -- Titulaire : Charlie Chèple.
-- "Charlie Chèple. ... sur le champ". -- ... Mais Henri ? -- ... Henri Sicre ?
-- À l'arrière, avec Micre. -- Non, Picre, Henri Picre.
-- " Henri Picre ? ... : sur le champ ! " -- ... Et Charlie ? -- ... Charlie Pèple ?
Sur le banc, Charlie Chèple, titulaire : Henri Chèple.
-- "Henri Chèple : sur le champ !" -- Et Pierre ? ... Où est Picre ?
-- Au milieu, Paul Podre. -- Non, Tagle ! -- Paul Tagle ?
-- Paul Tagle. -- Sur le champ ! -- Et Henri ? Henri Fagle ?
-- Sur le banc, Henri Fagle ! -- Mais et Paul ?? -- ... Paul Podre ?
-- À l'avant, Paul Podre ! -- ... ou bien c'est Mimousme... ?
-- À l'avant Mimousme ! Sur le banc Paul Podre !
Titulaire : Ali ! -- ... Mais Henri ? -- Sur le flanc. -- ... -- C'est la chiousme.
Bernagle Despodres
Palindromes d'hémistiches
(11-18 février 2002)
Énoncé
Comme Nicolas Graner le rappelle sur
cette page Web,
on peut imaginer des palindromes de lettres, de phonèmes, de syllabes,
de mots, de vers, de phrases, de paragraphes, de chapitres, voire de
livres ou de bibliothèques. [D'ailleurs, tout texte considéré
isolément est un "palindrome de textes" ne comportant qu'un seul texte ;-).]
Je vous propose pour lundi prochain d'écrire un palindrome d'hémistiches.
Par exemple, un poème commençant par
Un deux trois quatreu cinq / six sept huit neuf dix onze
se terminerait par
Six sept huit neuf dix onze / un deux trois quatreu cinq.
Le but principal du jeu est évidemment d'obtenir un sens aussi différent
que possible pour les deux occurrences d'un hémistiche. Une méthode
consiste à jouer sur le contexte, comme dans la subtile histoire de
Bobby Watson, imaginée par Georges Perec pour illustrer les palindromes
de phrases (p. 222 de l'"Atlas de Littérature Potentielle"). Une autre
est de jouer sur les homographes, comme dans la page ci-dessus de
Nicolas Graner. Une troisième est de se servir d'homophonies, en
commençant par exemple par
Offre à Gilles zèbre, oeufs ; à l'Érèbe, hécatombe !
et en terminant par
Allez, Rébecca tombe, ô fragiles Hébreux !
[Cet holorime est de Victor Hugo.]
Vous êtes libres de choisir la forme de votre poème, mais une nouvelle
fois, un sonnet me semble la taille idéale. Si vous vous contentiez
d'un unique alexandrin, cela reviendrait à composer un distique holorime
d'hexasyllabes.
Réponse de Gilles Esposito-Farèse
Deux réponses au jeu des palindromes d'hémistiches,
dans des sonnets d'alexandrins puis de dissyllabes.
Parabole
Épanche un sommeil noir sur ta paupière close.
Puis reste quiet une heure et guette les rayons
Du matin : jusqu'au soir goûte-les ! Réveillons
Un esprit qui affleure aux rives de l'hypnose.
Amène, sans délai croque la vie en rose,
Comme un cycle de lais ivres de tourbillons
Quand sourd l'apothéose. Évite les bâillons,
Évite-les ! Bâillons quand sourd l'apothéose,
Ivres de tourbillons, comme un cycle de lais
Croque la vie en rose. Amène sans délais
Aux rives de l'hypnose un esprit qui affleure.
Goûte les réveillons du matin jusqu'au soir
Et guette les rayons. Puis reste quiet une heure...
Sur ta paupière close épanche un sommeil noir.
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Grivois, c'est l'avril assez froid.
Verdoie vers là : voilà la voie !
L'avère doigt-vert froissé :
L'avril lassé voit gris.
[Rémi Schulz a suggéré par la suite le joli jeu
de mots borgesien « April March » comme titre de ce
sonnet dissyllabique.]Réponse de Nicolas Graner
Voici une première tentative de palindrome d'hémistiches, qui doit
beaucoup aux "poèmes repliés" présentés par Michelle
Grangaud au dernier jeudi de l'Oulipo.
Desdichado, chadodesdi
Je suis inconsolé à la tour abolie,
Et mon luth constellé porte le soleil noir.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Qui plaisait à mon coeur désolé ? Et la rose ?
Amour ? Ou mon front rouge encor ? Baiser de reine
Rêvé, dans la grotte où j'ai deux fois traversé...
Tour à tour les soupirs de la sainte, et les cris
De la sainte, et les cris... Tour à tour, les soupirs...
J'ai deux fois traversé, rêvé... Dans la grotte ? Où ?
Encor baiser de reine, amour ! Où, mon front rouge,
Désolé ? Et la rose qui plaisait à mon coeur ?
Toi qui m'as consolé dans la nuit du tombeau,
Porte le soleil noir et mon luth constellé
À la tour abolie ! Je suis inconsolé.
Chacun des sept premiers vers est extrait de deux vers
successifs d'El Desdichado, en conservant les mots dans le même ordre.
Deuxième réponse de Nicolas Graner
Le baiser, comme un bleu au coeur... De là : caresse, espoir qui
l'accompagne : être toujours le seul à savoir ce qui va !
La belle parvenue n'ayant su satisfaire ses prières,
son jeune parti, en reniant la tendre aimée, il est consolé
par sa bonne grâce, mais cependant vit mal, durci et sans pêche,
maudissant son péché, maudissant son vit mal durci et sans grâce,
mais cependant consolé par sa bonne, la tendre Aimée.
Il est parti, en reniant ses prières, son jeûne, n'ayant su
satisfaire la belle -- parvenue à savoir ce qui va être toujours
le seul espoir qui l'accompagne au coeur de la caresse : le baiser
comme un bleu !
Variante :
au lieu de : Le baiser, comme un bleu au coeur... De là : caresse,
on peut lire : Le baiser, comme un condisciple de l'amour,
Le même texte est reproduit ci-dessous avec des sauts de lignes
faisant apparaître les vingt-huit hexasyllabes qui le composent.
Le baiser, comme un bleu
au coeur... De là : caresse,
espoir qui l'accompagne :
être toujours le seul
à savoir ce qui va !
La belle parvenue
n'ayant su satisfaire
ses prières, son jeune
parti, en reniant
la tendre aimée, il est
consolé par sa bonne
grâce, mais cependant
vit mal, durci et sans
pêche, maudissant son
péché, maudissant son
vit mal durci et sans
grâce, mais cependant
consolé par sa bonne,
la tendre Aimée. Il est
parti, en reniant
ses prières, son jeûne,
n'ayant su satisfaire
la belle -- parvenue
à savoir ce qui va
être toujours le seul
espoir qui l'accompagne
au coeur de la caresse :
le baiser comme un bleu !
Réponse d'Alain Chevrier1. Si l'on fait suivre le poème de Verlaine « Il pleure
dans mon coeur » de sa version anacyclique en vers donnée
ci-dessous (une inversion, avec des modifications minimales de ponctuation), on
obtient un poème replié de Michelle Grangaud, c'est-à-dire
un palindrome en vers, i.e. un poème symétrique par rapport
à l'axe horizontal. 2. En considérant que chaque vers peut être
l'hémistiche d'un alexandrin et en acceptant la césure
épique, ce poème peut relever du concours lancé par GEF.
Mon coeur a tant de peine,
Sans amour et sans haine.
De ne savoir pourquoi,
C'est bien la pire peine.
Ce deuil est sans raison :
Quoi, nulle trahison ?...
Dans ce coeur qui s'écoeure,
Il pleure sans raison.
Ô le chant de la pluie,
Pour un coeur qui s'ennuie !
Par terre et sur les toits,
Ô bruit doux de la pluie !
Qui pénètre mon coeur ?
Quelle est cette langueur ?
Comme il pleut sur la ville,
Il pleure dans mon coeur.
PV AC
Réponse de Gaëtan Psaran
Réponse sur laquelle on ne peut s'aventurer qu'à condition
d'avoir d'office renoncé à comptabiliser ou prononcer e muets,
synérèses, h durs, ou même strict découpage en certaines
syllabes -- et si l'on veut bien n'y trouver qu'une inspiration de la contrainte. [Vers 1 & 4 presque palindromes d'hémistiches ;
vers 2 & 3 n'utilisant que les syllabes du premier vers.]
Mazurka devant c'est -- silencieux numéros
De vent s'aime azur calant ; six héros n'hument si eux
N'huent cas hurlant ; sirop massé vent de mes cieux
Si lents cieux Rome et nus -- masure qu'a devancée
Réponse de Rémi Schulz
Deux idées succinctes respectant la règle d'or roubaldienne. [Holorimes palindromes de syllabes]
dix rapaces passaient.
cep-as se pare à Die.
dire à passe-passe, et
c'est pas ce paradis.
(PaRDèS sert en hébreu d'acronyme
pour désigner les 4 sens de l'écriture)
si l'abbé Reumaux dit
dix mots, rebelle à six :
syllabaire maudit !
dîme au rebelle assis.
(en 10 et 6 mots)
Réponse de Denis Acquistapace
Je vous livre
l'épopée d'un rocker qu'on m'a contée à Macon (S&L). Le pauvre Otto y fit un
tel tabac que la salle des fêtes fut dévastée jusqu'aux boiseries. Le
tribunal laissa à l'infortuné hardeux le choix entre la prison et le
remboursement des dégats. Ce qu'il s'empressa de faire en composant un blues
qui fit se pâmer ses adoratrices juvéniles aux lunettes coquettement
remontées sur les cheveux et leurs vieux beaux de compagnons.
* Public thaïlandais? Un car de touristes, sans doute.
** volts
*** La Saône n'est pas loin.
Tlönien austral
(18-25 février 2002)
Énoncé
La première nouvelle des « Fictions » de Jorge Luis Borges, intitulée
« Tlön Uqbar Orbis Tertius », est fortement inspirée par la mécanique
quantique. En particulier, la langue imaginaire de l'hémisphère austral
de Tlön est un analogue de ce que les physiciens appellent la « seconde
quantification » : ce qui était considéré jusque là comme un objet
(fonction) devient une action (opérateur), celle que l'objet peut
avoir sur le reste de l'univers. Voici le célèbre passage où Borges
décrit cette langue (dans la traduction de P. Verdevoye) :
Les peuples de cette planète sont -- congénitalement -- idéalistes.
Leur langage et les dérivations de celui-ci -- la religion, les
lettres, la métaphysique -- présupposent l'idéalisme. Pour eux,
le monde n'est pas une réunion d'objets dans l'espace ; c'est une
série hétérogène d'actes indépendants. Il est successif, temporel,
non spatial. Il n'y a pas de substantifs dans la conjecturale
Ursprache de Tlön, d'où proviennent les langues « actuelles »
et les dialectes : il y a des verbes impersonnels, qualifiés par
des suffixes (ou des préfixes) monosyllabiques à valeur adverbiale.
Par exemple : il n'y a pas de mot qui corresponde au mot lune,
mais il y a un verbe qui serait en français lunescer ou luner.
La lune surgit sur le fleuve se dit hlör u fang axaxaxas mlö
soit, dans l'ordre : vers le le haut (upward) après une fluctuation
persistante, il luna. (Xul Solar traduit brièvement : il
hop-après-fluence-luna. Upward, behind the onstreaming it mooned.)
Je vous propose pour lundi prochain d'écrire un paragraphe en français,
mais imitant les caractéristiques du tlönien austral.
Il ne s'agit pas seulement d'éviter tout substantif -- contrainte
chère à l'OuLiPo --, mais également de se passer de la notion d'objet
matériel, pour se concentrer sur les événements passagers. Certains
des « Exercices de style » de Queneau se rapprochent de cette deuxième
idée, d'ailleurs, mais ils ne se privent pas de substantifs.
Réponse de Frédéric Schmitter
Il pleut. Dehors, il ne fait pas très chaud. Même que s'il gèle, ça va
drôlement glisser. Et ça va durer. C'est vrai, hier ils l'ont dit, je ne
sais plus trop où...
Rien de mieux à faire que de rester là, bêtement, à ruminer,
en regardant pleuvoir.
C'est nul. Autant dire qu'on s'emmerde copieusement. Que faire ?
Charnellement, c'est plutôt triste hélas, et j'ai déjà tant lu :
« Longtemps je ne me suis pas couché trop tard. » ou bien « Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, lourdement et
lentement, là où c'est neutre, à tous et à personne, où l'on se croise
presque sans se voir, où ce qui se passe se répercute, lointain et
régulier. »
Non, décidément, lire... Alors que faire ? Attendre que cela cesse ?
Vivement qu'il fasse beau, on partira loin d'ici. On ira... où tu voudras,
quand tu voudras. Et l'on s'aimera encore. Car aimer, c'est ce qu'il y a de
plus beau, non ?
Réponse de Claire Grivet
Desdichader.
S'assombrir, s'endeuiller, s'attrister sans plus émerger,
noblement se nomadiser, voir mourir et supernover
vers où vibrait et résonnait.
Ressuscitant, réclamer qu'il romanise à nouveau,
qu'il fluctue, console, ombre et fleurisse
(et désaltère avant qu'il n'équinoxe).
Chercher à se réidentifier après avoir tant aimé :
s'être régalé, rougissant ; s'être engouffré, onirique,
vers où chimérinage.
Héroïquement aller, vaincre et revenir d'au-delà,
polymythophonisant, modulant, soupirant et criant.
Rarement se rembrunir.
Réponse de Bernard Desroches
Il ne pleut pas, il bruine, il silence-biche-bruine.
Eh ! Il bruine-faisanne ! Il course-plate-vol-court engrosse
bruine-faisanne.
Oh ! Gavagai ! Il hautes-pattes ! Il gauche-lièvre-gauche-lièvre-dérate !
Il biche, il course-plate-bruine-poule, il hautes-pattes, il fume-lièvre
dérate-lièvre... il va louver.
Il bientôt-louve-déjà-louve.
Il faim-louve ? Il petits-louve ? Il faim-petits-louve !
Il déjà-course, il déjà-course-déjà-grimpe, il déjà-course-grimpe !
Il arbre.
Il ne pleut pas.
Il ne louve plus.
Il brume-bruine-bientôt-dorme-brume-déjà-lune.
Benjaquine TLee Dewhorf
Réponse de Gilles Esposito-Farèse
Il croasse noir puis il glapit roux
Il vente noir pendant qu'il frémit vert.
Ça sent ensuite plutôt fort.
Il bruisse roux soudain à découvert
Glapissant flou mais photophore :
« Qu'il fasse bon quand ça croasse !
Qu'il chatoie constamment et jamais ne décroisse !
Sans mentir, si ça vocalise
Autant qu'il brille et qu'il stylise,
C'est renaître aujourd'hui cendré puis mordoré. »
Alors il enfle noir comme à s'évaporer
Et pour crânement pérorer,
Il se fend largement ; ça choit expectoré.
Mais ça s'arrête roux en glapissant moqueur :
« Retenir à contrecoeur
Qu'en flagornant, ça s'est ravitaillé.
Y penser vaudra bien qu'il sente moins caillé. »
Il rougit sombre en croassant
Certes un peu trop tard : « Rien n'est plus agaçant ! »
Réponse d'Alain Zalmanski
Je ne sais si ça va aller
Avec ce rien si décalé,
Et si le temps n'est pas passé.
J'ai bien du mal à me lancer
Sans penser
Ni cessent, ni ne passent
Et pourtant ne me lassent.
Hiberne, dicerne, traverse
Nuons, neigeons, pleurons à verse.
Et rien, non, rien de rien, ne vaut,
Plus que rêver, flâner, bader,
Sans avoir à contrepenser,
Ici, là-bas, tard ou très tôt.
Alors on boit, on trinque, on rit,
Mais jamais on ne réfrêchit.
C'est bien trop dur de topasser
On ne sait quoi. Alors penser...
Rien ne se passe ou ne se chance
Et désormais, mieux vaut le dire
Que le cacher ou bien médire
De tous ceux qui jamais ne pensent.