Jeu oulipien de mars 2021 :
logo-rallye anagrammatique


Énoncé

Le 15 mars 2021, j’ai proposé à la liste oulipo d’employer dans un texte en prose l’un de ces trois groupes nom+adjectif anagrammatiques :

assurances-vie prémonitoires
avocasseries ininterrompues
permissionnaires évocateurs
réservations parcimonieuses
clandestinités harmonieuses
dissimulation enchanteresse
leishmaniose désincrustante
saintes-nitouches madrilènes
discussion interplanétaire
parasites unidirectionnels
porcelainiers estudiantins
prédestinations culinaires
spiritualités draconiennes

Il s’agit des plus longs quadruplets & quintuplet (sans liens étymologiques) que j’ai trouvés. Leur ordre est libre, et l’on peut aussi les présenter avec l’adjectif avant le nom, puisque ça ne change pas la propriété anagrammatique. Voici les quatre réponses reçues la semaine suivante.


N.B. : Après l’écriture des textes ci-dessous, je me suis rendu compte que ces multiplets anagrammatiques pouvaient être complétés au moins par

préservations acrimonieuses industrialistes hameçonnées crétinisations pendulaires
dénicotiniseurs périnatals

L’un des deux mots de chacun de ces groupes nom+adjectif était en effet absent du fichier dont je m’étais initialement servi. Je me suis permis d’ajouter l’un de ces nouveaux groupes à mon logo-rallye (2e texte), car il s’y insérait facilement.


Réponse de Rémi Schulz

Bach, sachant le jour d’« une mort ci sans proie asservie »,
    Bidonna de « prémonitoires assurances-vie ».

Anna, lésée par des « réservations parcimonieuses »,

Clama que pour les hoirs leurs « vies renaissaient corrompues »,
    Ce qui, sans vouloir « animer révisions crapoteuses »,
    Créa quelques « avocasseries ininterrompues ».

Harmoniserais-je « copier tous mes anniversaires » ?
    Hurlerais-tu « on aspire à ces ivres moniteurs » ?
    Humaniserait-il pour « œuvrer pactes missionnaires » ?
    Hasarderions-nous ici « créerions moines via pasteurs » ?
    Hésite-t-on lorsque « un mécano rive trois pessaires » ?
    Hiérarchiserez-vous « en pairies vos mariés conteurs » ?
    Habitaient-ils de « rimeuses provinces à notaires » ?
    Huitième essai, c’est « permissionnaires évocateurs ».


Notes de l’auteur

Un sonnet Bach 2-1-3-8, en vers de 14 pieds comme il se doit.

Les premières strophes s’inspirent de la thèse de Bach et le nombre, selon laquelle Bach aurait codé dans sa musique la date de sa mort, thèse dont je laisse la responsabilité à ses auteurs.

Je ne voyais que faire des « permissionnaires évocateurs » dans ce cadre, alors la dernière strophe est sans rapport.

Toutes les expressions entre guillemets sont anagrammes, à partir des 4 expressions en deux mots trouvées par Gef. La valeur totale 1328 de ces 4 expressions (en 104 lettres) m’a fait penser à un sonnet Bach.

        14×14 pieds
        14×14×3 lettres
        gématrie 14×14×37
        14×7 mots (en comptant 2 mots pour « assurances-vie »)

On notera encore que, puisque chaque anagramme compte 26 lettres, chacun des 14 vers a en moyenne
        26 lettres obligées + 16 lettres quelconques, soit
        2(13+8) lettres, B(ac+h)

J’observe encore que l’expression donnée par Nicolas
        2 √(8/7) = 2,1380…
donne dans l’ordre les chiffres associés au jour de la mort de Bach, le 28/7, chiffres triturés au-delà du raisonnable par les auteurs de Bach et le nombre, lesquels ont loupé cette évidente propriété.
Rappelons que Bach est né un 21/3, probablement vers 8 h.


Réponse de Gilles Esposito-Farèse

En recevant leurs ordres de mobilisation, les carabins de la faculté de médecine de Madrid comprirent que l’incompétence militaire n’était pas une légende : ils avaient tous été affectés à un régiment de carabiniers. Assez disciplinés, ils s’étaient d’abord rendus à leur caserne pour une formation accélérée, mais ils n’eurent pas besoin d’une discussion interplanétaire pour prendre cette décision commune : ils déserteraient dès leur première sortie, s’épargnant ainsi de telles crétinisations pendulaires. Les imaginez-vous, ces évocateurs permissionnaires ?

Ils s’installèrent discrètement dans une ferme en ruine, et survécurent quelque temps grâce aux légumes qui continuaient à pousser naturellement. Appliquant le précepte de Florian, ils vivaient heureux dans leurs harmonieuses clandestinités, ô dissimulation enchanteresse !

Mais sentant l’hiver approcher, ils décidèrent de mettre à profit leurs connaissances biologiques. Il leur fallut au préalable fabriquer des récipients pour leurs cultures virales. L’un des appelés, spécialiste en céramique dentaire, enseigna aux autres l’usage du kaolin et du four. Nos porcelainiers estudiantins obtinrent rapidement d’excellents béchers artisanaux. Ils récupérèrent divers protozoaires dans le ruisseau du coin, et les étudièrent avec la passion de leur vocation retrouvée.

Ils constatèrent bientôt qu’une espèce de trypanosomes se déplaçait toujours vers la périphérie, finissant même par s’échapper de tout organisme auquel elle était inoculée. Ces parasites unidirectionnels pouvaient-ils être utilisés à des fins thérapeutiques ? En quelques semaines à peine, l’équipe mit au point un complément alimentaire capable de nettoyer la peau en profondeur.

Ne s’aventurant pas trop loin de leur repaire, ils proposèrent leur leishmaniose désincrustante au couvent voisin, où des saintes-nitouches madrilènes se desséchaient dans leurs spiritualités draconiennes. Recherchant la pureté du corps autant que de l’âme, elles furent plutôt intéressées, mais n’en firent que des réservations parcimonieuses. La prieure croyait en effet aux prédestinations culinaires, et sentait que cette nourriture était une tentation du Malin, afin de les détruire par le plus malheureux des kala-azars. Elle souscrit donc des assurances-vie prémonitoires pour toutes les nonnes, qui leur éviteraient des avocasseries ininterrompues en cas d’infection.

Mais ses craintes ne se réalisèrent pas. Personne ne tomba malade, et leur teint devint plus éblouissant que celui des stars hollywoodiennes. Les conscrits en fuite acceptèrent volontiers d’être rémunérés en nature, et ils emménagèrent peu après avec les religieuses. Ils vécurent heureux, de nouveau, et eurent même beaucoup d’enfants par la suite. On raconte qu’un demi-siècle plus tard, toute la troupe était encore rayonnante de joie quand Lucifer l’accueillit.


Réponse de Noël Bernard

Décrochement

Las des appels incessants où défilent assurances-vie prémonitoires et primes isolatoires, soûlé par les collègues m’inondant en pleine nuit de leurs avocasseries ininterrompues, j’ai décroché mon téléphone. J’ai filé dans la rue, happé par le grouillement rassurant du trottoir. Quelques permissionnaires évocateurs importunaient des femmes aux longues jambes, quémandant des réservations parcimonieuses. Des grappes de porcelainiers estudiantins s’invectivaient joyeusement au plus fort de leur éternelle discussion interplanétaire. Un tandem de missionnaires en uniforme guindé, tentait de vendre leurs spiritualités draconiennes à trois parasites unidirectionnels qu’ils s’évertuaient à détourner de leurs prédestinations culinaires.

Deux gendarmes se profilèrent sous un lointain réverbère. Tous aux abris, voilà les grippe-coquins de la leishmaniose désincrustante. Aussitôt, d’un furtif geste du bras droit, élégants ambianceurs, saintes-nitouches madrilènes, rugbymen désintoxiqués, ecclésiastiques caresseurs, innocents présumés, tous firent disparaître le bas de leur visage sous une gaze bleutée. Clandestinités harmonieuses ! Dissimulation enchanteresse ! Réconcilié avec l’univers, j’avançai dans cette mer de la tranquillité, solitaire au milieu d’une myriade de solitudes où je découvris enfin la joie de l’anéantissement.


Réponse de Marc Parayre

O(util) U(nifié) Prolétarien

Ce lundi, je ne le sentais pas… le genre de jour maussade où tu sais qu’il va te tomber une tuile dessus. Et pour ça j’ai du flair, moi, je ne me trompe jamais ! Comme dans l’affaire Mélois par exemple, mais je préfère ne plus en parler car cette histoire m’a fait mal à plus d’un titre.

Bref, j’arrive à la PJ et là, on me dit que le big boss veut me voir. C’est bien ce que je pensais, ça sent le traquenard à plein nez, car dans ces cas-là c’est toujours pour du compliqué, le genre avocasseries ininterrompues où tu dois tout reprendre de A à Z et avec les moyens du bord : sandwichs avalés à la va-vite et même pas remboursés, réservations parcimonieuses dans lesquelles tu es quasiment sûr de te les peler… mais là, tenez-vous bien, vous allez voir, je crois que ça dépasse tout ce que j’avais connu auparavant, un coup à mettre les gilets pare-balles, à prendre des assurances-vie prémonitoires, puis dans l’ordre, écrire des tas de lettres… de protestation, de démission, enfin plein de lettres.

Bon, scénario habituel : je frappe, trois mots rapides de politesse, pas les formules à rallonge qui n’en finissent pas, puis on enchaîne avec le discours convenu, pommade puis le cadeau empoisonné.

« Il n’y a que toi pour démêler cette affaire. C’est du lourd, crois-moi ! On a repéré depuis pas mal de temps un groupuscule, l’O. U. Prolétarien, qui communique par le biais d’une liste, laquelle, si j’ai bien compris ce que m’a dit ton stagiaire, correspondrait à leur nom, mais je n’ai pas pris la peine de vérifier. Or il y a quelques jours, on a intercepté un message qui disait en toutes lettres “les permissionnaires évocateurs vont passer à l’attaque”. Un charabia complètement déjanté, je suis d’accord avec toi, pourtant il semblerait qu’un témoin, un certain Brendan Oerl aurait vu des types pouvant correspondre au signalement dans le quartier où tapinent les albanaises. Enfin ce que je peux te dire c’est qu’en haut lieu on prend ça très au sérieux et on m’a conseillé d’examiner cette déclaration dans tous les sens, de la passer au peigne fin, de l’évaluer au pèse lettres… Alors pas question de tirer au sort, am stram gram, pic pic et anagramme ou je ne sais plus quoi, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait un type comme toi, un mec de caractère, un flic majuscule, … »

Et ça y est, c’est reparti pour la pommade, mais moi, ça me fait de belles jambes, j’ai plutôt l’impression d’être dans le potage, le genre au vermicelle avec des lettres éparpillées.

Tiens, il me vient une idée. Oui, c’est ce que je vais faire ! Je vais mettre le stagiaire sur le coup, on va bien voir comment il va s’en dépêtrer et s’il sera capable de comprendre le fin mot de l’histoire.


Petite glose appendiculaire (de l’auteur)

Cet écrit met en jeu deux autres anagrammes notables en dehors de celles proposées pour le logo-rallye, mais elles risquent fort de n’être pas repérées faute pour le lecteur de savoir à partir de quels ensembles de lettres elles ont été formées.

– Ainsi la liste oulipo à laquelle étaient destinées ces créations est hébergée par un serveur du réseau « Renater » — et pour les besoins de la cause il a été choisi de l’appeler « oulipo.renater » — ce qui explique le nom du prétendu groupuscule : « O. U. Prolétarien » ;

– Un des contributeurs, Noël Bernard, a prêté, à son insu, son nom au témoin, qu’on supposera d’origine irlandaise, Brendan Oerl, en raison de ce qu’on peut lire quelques lignes plus haut dans son texte : Quelques permissionnaires évocateurs importunaient des femmes aux longues jambes, quémandant des réservations parcimonieuses, phrase qui trouve un écho avec cet entrefilet : « un témoin, un certain Brendan Oerl aurait vu des types pouvant correspondre au signalement dans le quartier où tapinent les albanaises. »

Par ailleurs si ce texte s’efforce d’accumuler jusqu’à presque saturation des indices métatextuels renvoyant aux lettres, à leur redistribution, leur bouleversement, leur manipulation une à une (par ex. « te les peler » / te l’épeler), en employant littéralement le mot « anagramme », on peut regretter cependant que, dans cette tentative de dénudation des divers procédés utilisés, rien ne renvoie en fait à la contrainte proprement dite du logo-rallye et à son fonctionnement.

Signalons pour terminer que le personnage du « stagiaire », avait déjà été convoqué dans une fiction précédente (d’où la mention au début du nom de Clémentine Mélois et l’allusion discrète à son ouvrage Cent titres), dans laquelle on lui prêtait une passion pour les jeux de lettres et en qui le lecteur a tout loisir de reconnaître le concepteur de cette page.


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Dernière modification : 26 mars 2021