Sonnet de pangrammes hétéroconsonantiques
Chaque alexandrin du poème ci-dessous contient toutes
les lettres de l'alphabet, sans répétition de consonne.
L'alternance des rimes est respectée, et aucun mot
significatif n'est répété
(les deux « paf » sont respectivement un
adjectif et une interjection). La contrainte la plus difficile dans
cet exercice est le nombre de syllabes, ce qui explique la position
bizarre de certains mots terminés par un e caduc : il faut se
débrouiller pour les placer avant une voyelle ou une semi-voyelle.
Beaucoup de mots font allusion au vers final, notamment au juge
[alcade, wali, viguier, justicier, héliaste] et à son
whisky [jerez, pochard, koumys, kwas, paf, éthylique, vodka, kava],
en évoquant au passage sa blondeur [wasp, jaune tif, oxygéné] et sa
fumée [kif, asphyxiez, tabagique]. Le wergeld est une indemnité
d'origine germanique et le chapska un couvre-chef d'origine polonaise.
Après la bataille
[Mon père, ce héros des jeux de cartes, se promenait après
avoir brillamment remporté une bataille, quand un magistrat
déjà passablement éméché lui demanda de lui payer un londrès
et un verre de plus. Incommodé par l'odeur de son vulgaire
ninas, papa le repoussa avec mépris, et le prévôt décoloré en
vint rapidement aux mains. Ils se menacèrent réciproquement
de poursuites judiciaires, mais j'intervins pour rappeler
à mon géniteur qu'il gagnerait aisément une autre partie.
Alors, superbe, il lui offrit tout de même à boire.]
Mon père, jais cow-boy, vaquait -- doux zig, khalif.
Bouge un alcade wasp : « Veux kif, jerez mythique !
-- Pochard, buvez koumys ! Qu'wali gueux, jaune tif !
Jà combiniez dix kwas, viguier paf, éthylique ! »
L'ex-moujik wisigoth binz vide, y craque au pif :
« Bafouez un justicier, whig ? Vodka m'y explique ?
J'embraye taekwondo ; gavez chaque explosif !
-- Judoka ? M'asphyxiez, clown ! Fièvre tabagique !
-- Quel jockey du far (vague) west mon pèze exhiba ?
-- Wergeld que j'y fixai, zouave ! » Un chapska tomba.
Swing : paf ! Oyez, voici l'idiot break que j'exhume :
« Drawback : paumez jeu vif qu'héliaste oxygéné
D'ex-kava (joug) y flambe. Équipez whist ! » Crâné :
« Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume. »
Le Rouge et le Blanc
Traduction bivocalique de
l'Affiche rouge
d'Aragon, respectant certaines caractéristiques formelles de
l'original : non seulement le sexe des rimes, qui joue un
rôle fondamental dans la mélodie de Léo
Ferré, mais aussi le fait que toutes les rimes masculines
emploient le même son vocalique -an, les consonnes
d'appui changeant de strophe en strophe. J'ai volontairement
respecté le clinamen de la dernière rime en principe
féminine, qui se trouve être seulement consonantique dans
l'original (comme ça arrive fréquemment chez Aragon). Il
se peut que ce clinamen n'ait pas eu tant d'importance pour le
poète, mais il acquiert une force étonnante dans
l'interprétation de Ferré. Du point de vue rythmique, mes
césures sont à peine plus chaotiques que celles
d'Aragon... Les rimes entre singulier & pluriel sont aussi
conformes au style de l'original (et mon unique e caduc entre
voyelle & consonne se trouve miraculeusement dans la même
strophe où Aragon en a laissé passer un).
L'impératif « niez » de la quatrième
strophe se prononce en une seule syllabe (synérère
normale). La graphie « Ereven » de la
cinquième strophe n'est pas courante, mais on la rencontre
parfois (par exemple dans
cette biographie
du champion d'échecs Tigran Petrossian).
Le choix des voyelles E & I a été
guidé à la fois par deux couleurs évoquées
dans le poème (le blanc du givre et le rouge de l'affiche) et
par des considérations sonores : le E est nécessaire
pour respecter l'alternance, et le I permet de conserver certaines
rimes-clefs de l'original.
L'imprimé lie-de-vin
dédié envers Frédéric Schmitter
(estimé de 136 trimestres vers le 30 septembre)
Ils vinrent exiger ni pitié ni prestige
Ni d'église ni prière de révérend
Vingt semestres si vite expirent différents
Ils se servirent de simples rifles et tiges
De cécité le Lige en décès ne se prend
Ils se virent clichés en les vitres des villes
Hérissés de ténèbre et crins en excédent
Cette liste vermeille exprime l'incident
De désigner ces gens de mines difficiles
Et cherche l'effet vil envers les résidents
Ils se fixent en ces terres de préférence
Les plébéiens en semblent rester réticents
Dès les vêpres discret l'index enclin descend
Écrire en ces dessins Résistez en silence
Et les tristes réveils en deviennent décents
L'ensemble revêtit l'ivre teinte de givre
Fin février en ces derniers événements
Les rebelles ici dirent sereinement Pleine félicité Persistez Filez vivre
Envers les ennemis niez le ressentimentFinis les lis Finies les peines et les liesses
Fini le temps Finis l'étincelle et le vent
Deviens femme ris bien et retiens le fervent
Fidèle ménestrel en tes mille tendresses
Dès le répit signé de Perse en ÉrévenVers le relief d'hiver le ciel grisé s'incline
Cette Terre est si belle et l'esprit se distend
L'intègre verdict est imminent je l'entends
Sensible Mélinée indigente féline
Et je te dis de vivre en mère ce printemps
Ils gisent vingt et six les engins retentirent
Vingt et six éventrés en des tirs incléments
Vingt et six immigrés mes frères dignement
Vingt et six très épris de vivre et d'en périr
Vingt et six cris de liberté brièvement
Le gospel : sa foi résiste_
[Gef d'après Ferré d'après Aragon
d'après Manouchian]
N'hésitez pas à réécouter
la voix extrêmement sensible de
Léo Ferré
dans le poème original.
Moralité en forme de fable-express :
Comme les potions d'Alice,
Ce poème plein d'émoi
Aimerait qu'on le choisisse
Et demande « FTP-MOI ! »
le colonel Gilles (E-F)
FTP = File Transfer Protocol.
FTP-MOI = Francs-Tireurs Partisans - Main d'Oeuvre Immigrée,
dont faisaient partie les résistants de « l'Affiche rouge ».
1er octobre 2003
Lipogressif
El Desmigado
(Le Désagrégé)
Whig d'York aux plombs fondus, vizir au jour quiescent,
Chef d'Aquitains, j'y romps -- zut -- l'ex-vogue abolie.
Je perds ma galaxie ; ô quel vif luth berçant
Que gâche un veuf obscur : trop de Mélancolie !
Fée au soin prévenant, dans ce tombeau glaçant,
Rends-moi le pic et les vagues de l'Italie,
Cette treille de pampre et rose s'unissant,
Et ce coeur désolé séduit d'une ancolie.
Être Éros ou Soleil ?... Einstein sinon Atlas ?
Une étreinte à tsarine irritera ta tête ;
Assiste à ta star-raie, et ta sieste s'arête !
Ara, ressasseras : Errer ès rares sas...
Seseé: ¿Es ese? See, see! Esse ses esses !
+ : « '...'...' » / *,* : « % § ! @ # ! »
|
G |
----+
Note sur le 2ème vers :
rappelons juste que la Gironde est en Aquitaine. Note sur le 11ème vers :
l'« arête » finale est volontairement écrite avec un seul R. Traduction du 13ème vers :
J'ai
zozoté : C'est celui-là ? [en espagnol]
Regarde, regarde ! [en anglais]
Calibre les ouïes du violon ! [en français] Traduction du dernier vers :
Les soupirs de la sainte et les cris de déesses. Traduction de la signature :
G mis dans un coin
(précédé de la célèbre tragédie du
ROI PEPIN)
Le premier vers de ce sonnet est un pangramme, le deuxième emploie
24 lettres, le troisième 22, et ainsi de suite jusqu'à épuiser tout
l'alphabet dans le dernier vers. Les premières lettres à disparaître
sont les plus rares en français, telles que les calcule
ce
site de statistiques.
Pour les lettres les plus courantes, j'ai en revanche conservé
l'ordre « perecquien » ESARTINULOC. En résumé, voici les lettres
à la fois autorisées et obligatoires dans chacun des 14 vers :
Quelques « pixies »
La notion de « pixie » a été proposée par
Christophe
Géradon sur son site Web, et transmise à la liste oulipo par
Éric
Angelini. Il s'agit d'images GIF qui affichent leur propre taille en octets.
Selon les règles de Géradon, elles doivent utiliser une police & une
fenêtre de tailles standard, et doivent inclure la signature de l'auteur.
Patrice Besnard a eu l'idée de
combiner l'autoréférence de ces images à la symétrie
des ambigrammes, et l'on peut retrouver ses
créations sur
le
site d'Éric Angelini (leurs tailles ont malheureusement été
modifiées par le logiciel utilisé pour construire cette page, donc
seule la confiance des visiteurs peut restituer leurs autoréférences).
Le premier pixie que j'ai construit est volontairement léger :
il ne compte que 1001 octets, comme indiqué en petites capitales
de Garamond-48 dans une fenêtre de 160x120 pixels. C'est un
ambigramme doublement symétrique, qui reste lisible à
l'envers et/ou dans un miroir. La signature (gef) en forme de papillon
respecte ces symétries, mais n'utilise évidemment pas
une police standard. Le fond noir est une allusion aux 1001 nuits.
Mon deuxième pixie n'a rien d'autre que son autoréférence
à offrir, mais il évite toute possible tricherie. Il n'utilise
en effet que deux niveaux de gris (noir & blanc), une fenêtre
standard de 320x240 pixels, et la police la plus standard possible (Times)
dans sa plus grande taille standard permettant une telle phrase (48 points).
[Selon Géradon, les pixies sont d'autant plus précieux que leurs
polices sont grandes.] A priori, une telle image est reproductible par
quiconque possède un ordinateur, et l'on peut donc vérifier
qu'aucun pixel n'a été ajouté ni retiré. Pour
éviter l'encombrement visuel de cette page, ce pixie est ici
affiché en réduction, mais vous pouvez voir sa taille
réelle en cliquant dessus.
Les deux pixies suivants jouent sur la signature obligatoire de l'auteur,
plusieurs fois présente dans le premier (de manière certes
détournée) et comme complémentaire des chiffres dans
le second. Ils affichent chacun leur taille exacte (9537 et 6132 octets)
dans des fenêtres standard de 320x240 pixels (une nouvelle fois
réduites sur cette page, mais vous pouvez cliquer dessus pour
afficher leurs tailles réelles). Le premier pixie utilise la
police gratuite PocketCalculator dans sa taille standard de 24 points.
Le second choisit la plus grande taille possible dans une telle fenêtre,
mais évidemment avec des lettres & chiffres dessinés par
l'auteur.
Mon dernier pixie utilise une nouvelle fois deux niveaux de gris (noir & blanc),
et une police standard (Monaco-9) dans une fenêtre standard de 320x240 pixels,
afin d'éviter toute tricherie. Les chiffres sont organisés de
manière à reproduire leur aspect en taille (standard) 120.
Mon but a été de construire un pixie autoréférent
mais « menteur » : la taille du fichier GIF n'est
bien sûr pas l'énorme indiquée en petit (11111...),
mais celle que l'on peut déchiffrer en gros, à savoir 3079 octets.
27 octobre 2003
Verts blancs
Chaque mot du sonnet bivocalique suivant contient au moins un
E et au moins un U. Aucun d'entre eux ne peut donc apparaître (avec
la même graphie) ni dans la Disparition ni dans les
Revenentes, célèbres romans de Georges Perec. Comme
mentionné dans l'« exergue », ce poème
contient une erreur prosodique, à savoir un vers de 13 syllabes --
que je vous laisse trouver !
Sujet : neumes fugués
exergue :
Furetez, preux chercheurs,
débusquez une erreur !
Quel zeugme superflu, quelle fleur structurelle
Peuvent seuls débuter, ubuesque rhéteur ?
Nullement perturbé, quelque prudent lecteur
Suspecte une brumeuse enflure culturelle.
Neuf muses ? Une ruse, excuse surréelle !
Refuse leur rébus, peu crédule enquêteur ;
Juge leur subterfuge élucubré menteur,
Scrupuleux leurre creux, récurrente querelle.
Que résulte humblement quelque enjeu mutuel
-- Hurlement turbulent, murmure éventuel --
Une juste pendule heurte une suprême heure.
Fresque presque burlesque, ému pleur textuel :
Une épreuve truquée eut demeuré. Que meure
Censuré leur succès verbeux perpétuel.
Assonances assommantes
Le « sonnet » suivant respecte simultanément
trois schémas de rimes classiques, mais ne possède pourtant aucune rime.
[Il emploie d'ailleurs plusieurs mots ne rimant à rien.]
Les sons vocaliques finals respectent le schéma de rimes du
sonnet français (banvillien) : abba abba ccd ede.
Les sons consonantiques finals respectent le schéma de rimes
du sonnet anglais (shakespearien) : abab cdcd efef gg
[avec ici la particularité a=d et b=c, mais les
consonnes ne sont pas placées de la même façon
par rapport aux voyelles ;
on peut noter la structure en double miroir des rimes des deux quatrains].
L'alternance des e caducs finals respecte le deuxième schéma
de rimes le plus régulier en français : fmfm fmfm ffm ffm.
De tels croisements sonores ont déjà été explorés
plusieurs fois dans la littérature, y compris à l'OuLiPo et sur la liste
du même nom, mais à ma connaissance jamais aussi rhygoureusement.
;-)
Bouffonnerie
L'ombre immobile se claustre
En un silence profond
L'oeil exprime une peur monstre
De monter sur l'échafaud
Maintenant l'être s'échauffe
Puis rajustant son plastron
En espérant un triomphe
Dit Musique Maestro
Hors des coulisses du cirque
Le clown débutant s'extirpe
Et tente un grotesque jerk
Le public voit qu'il usurpe
Son poste et le juge inepte
Hélas c'est l'échec abrupt
« Contrainte du snob »
Alain Chevrier a proposé sous ce nom
la règle interdisant à deux mots voisins
de posséder la moindre lettre en
commun. Il a lui-même illustré cette nouvelle
& difficile contrainte par une réécriture du
Desdichado
de Nerval.
Dans le sonnet suivant, j'ai adapté une célèbre
chanson de Boris Vian dont le thème évoque cette contrainte.
Être snob, c'est l'unique apparat que j'accepte :
Il me faut dédier ma vie à ce grand job.
À ton bras je m'exhibe, ou bien sur cette mob ;
« Tweed bon sud et ni art nocif » est mon précepte.
Galons d'astrakan, gemme à l'index, frac inepte,
J'ai du rob au whisky, je lis Jacob et Schwob ;
Je m'appelle Bruno mais on me dira Bob ;
De pur-sang et barons je suis le vif adepte.
L'amour s'exprime nu parce qu'on rime à zob.
Amis, prenez du coke au cheese ! Moi, tel Job,
Chaufferai mon triplex au bloc diamantifère.
J'ai tourné ma télé, ça réjouit l'atmosphère ;
J'ai défoncé ma Porsche ; au lit en août, je dors.
J'achèterai plus tard un drap-linceul à Dior.
[N.B. : Nous nous sommes rendu compte quelques années
plus tard que cette même contrainte avait déjà
été proposée & illustrée avec
brio par Ross Eckler en novembre 1976.]
11 décembre 2003
Base de la littérature
En oubliant l'ordre de ses lettres, chaque mot peut être représenté par
un vecteur dans l'espace de dimension 26 de l'alphabet [par exemple,
« baba » = (2, 2, 0, 0, ..., 0)]. La phrase de 26 mots suivante a été
construite pour avoir un déterminant non nul. Cette contrainte implique
que les 26 lettres de l'alphabet sont utilisées (pangramme), et qu'aucun
mot ne peut être obtenu en additionnant ou en retranchant les lettres
d'autres mots de la même phrase.
Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume
et cinq kirs pour sa nièce à la sveltesse plume,
car aujourd'hui je m'y consume.
26 janvier 2004
Rimes homographes
C'est un poli sonnet, Gi//es (barde bleu)
Kékszakállú
Ce jour-là Barbe-Bleue a dressé la grand-voile
Sur son navire orné d'un écu mi-parti.
Judith prie, au château, pour que la nef se voile,
Chavire et la délivre. Il est enfin parti.
Chastement (au début) la belle a pris le voile,
Mais les galants voudront tous en tirer parti :
Ils offrent des sonnets pour qu'elle se dévoile...
Soudain l'époux revient, rouge comme un parti.
« Que fais-tu toute nue, et qui donc lit ces pages ?
Que forniquent surtout dans notre lit ces pages ?
-- Ce sont mes confesseurs, chéri, ce sont des pieux !
-- C'est très vilain, Judith. Je confisque le livre.
Et celui qui trahit, viens voir où je le livre :
Ma chambre de torture ; au fond, ce sont des pieux ! »
Ogre, il festoie ses pals_
3 février 2004
Cabalistique appliquée
Le but de cet exercice est de tester à quel point
le sens résiste à une accumulation polysémique
(parfois « Canada Dry »).
Il est donc normal que vous n'y compreniez pas grand chose...
El Descifrador
« Le calembour est la fiole de l'esprit qui vente. » (Hector Vigo)
Terne veuf rance et nieur, sans compagne ni paix,
Mon fortuné palace, à tort tu l'exfolies.
Si l'on a clamsé vers des lyres dépolies,
M'émeut, si long, sans nuit, le temps des maux suspects.
Dans ce tombeau latent, l'allée aux parapets,
J'avorte des potions : j'entremêle ancolies,
Un verre à pied beau d'un cépage aux lies jolies
Et la colunitrase, éther au coeur épais.
Une once du Pape ou quelque panthère à taire :
Mens-je ? Mon courroux gît comme une loque à terre.
Je caresse un dessein de l'âne inférieur.
Par mille et cent secrets, mais que ce format lèse,
Je l'écris, de là fais que sourde, en rimailleur,
Un zeste de limon ou d'orange malaise.
Gilles au beau fit l'amphibologie_
5 février 2004
Poésie
shadok
Le Chef shadok nomma un poétiseur ophyciel, chargé de trouver les plus
belles combinaisons des quatre mots de la langue shadok : ga, bu, zo,
meu. À force de combiner, combiner, le poétiseur ophyciel mélangea,
mélangea, et finit par donner à sa tribu des cris aux sens nouveaux. Le
génie formaliste du Professeur Shadoko synthétisa cette expérience en un
Théorème : « La consonne d'un mot associée à la voyelle d'un autre ouvre
des potentialités littéraires insoupçonnées. » Et puis quoi, encore ?
Gammes au but gaga *
Ô magma gazeux,
aube aux mots, aux hommes,
aux gammes, aux gommes,
magots aux beaux oeufs !
Ma muse abuse eux :
hases, boas mômes,
boeufs à zoos-homes.
(bah, gag m'amuse, euh)
À bas ma gobeuse
âme à base gueuse :
Ubu bat Hugo.
Abats aux eaux, buse,
obus, bâts, maux ; use
bogues à gogo !
* gaga : zozo.
22 mars 2004
Sonnets palindromes
Voici la liste des sonnets palindromes dont j'ai connaissance à cette
date. On peut les ordonner selon la taille des « atomes »
qui les constituent.
Une symétrie au niveau des traits dont sont formées les lettres reviendrait
à dessiner un sonnet ambigramme. Je
n'en connais aucun exemple. Ce qui s'en rapproche le plus serait le premier quatrain du
Jabberwocky
de Lewis Carroll tel que l'a calligraphié
Kevin Pease.
Il existe au moins deux exemples de sonnets palindromes de phonèmes
[cf.
Gef et
Rémi Schulz].
Je ne connais aucun sonnet palindrome de syllabes.
Perec
a toutefois écrit une version anacyclique du
Desdichado de Nerval, et
Jacques Perry-Salkow
une version de ce poème où chaque vers (blanc et de mètre
variable) est indépendamment un palindrome syllabique. Jacques a aussi
écrit un chef-d'oeuvre en vers libres dans le premier numéro de la revue
Formes Poétiques Contemporaines.
Après avoir lu cette présentation,
Rémi Schulz
m'a rappelé qu'il a composé un sonnet palindrome syllabique
aux tercets intérieurs et en vers de quatorze syllabes,
surcontraint par le fait qu'il est aussi un
diagonnet.
Il respecte donc les mêmes symétries que le
célèbre carré SATOR latin, mais au
niveau des syllabes au lieu des lettres.
Les palindromes de mots ont vu le jour dès l'antiquité, et il y a
quelques années, l'oulipienne Michelle Grangaud en a écrit en prose
ou en vers libres. Je ne connais cependant qu'un seul sonnet, signé
Bernardo Schiavetta
et publié dans son livre Texte de Pénélope.
Notons que cette catégorie et toutes les suivantes violent nécessairement
la règle classique de non-répétition des mots dans les sonnets. Pour la
respecter, on pourrait tenter des versions holorimes, mais les palindromes
seraient alors sonores et non plus écrits.
Les palindromes de vers forment aussi une longue tradition depuis
l'antiquité, mais aucun sonnet n'existe à ma connaissance. La structure
de rimes est en effet difficile à respecter. Une solution possible est
de composer un sonnet birime au deuxième quatrain irrégulier, du type
abab/aabb/aab/aba ou abba/bbaa/bba/bba.
Les sonnets palindromes de phrases me semblent particulièrement
intéressants si la longueur des phrases n'a rien à voir avec celle
des vers (ni multiple ni sous-multiple), de telle sorte que les
mots-rimes ne soient pas les mêmes dans les deux moitiés du poème.
Je n'en connais aucun exemple.
Je n'ai jamais entendu parler de sonnet palindrome de strophes, pour
la bonne raison que la structure classique en deux quatrains puis deux
tercets est incompatible avec une telle symétrie. On peut néanmoins
écrire des sonnets irréguliers aux tercets intérieurs (ou extérieurs),
par exemple selon les schémas abab/ccd/ccd/abab ou abba/cdc/cdc/abba
pour pouvoir respecter l'alternance des rimes. Rien n'interdit d'ailleurs
de les redécouper par la suite comme des sonnets traditionnels, le schéma
abab/cddc/dda/bab s'y prêtant alors assez bien.
Notons pour finir qu'absolument tous les sonnets de la littérature sont
des « palindromes de sonnets »... ne comportant qu'un sonnet chacun !
Dans les poèmes qui suivent, j'ai essayé de combler certaines des cases
vides mentionnées, en attendant que de meilleurs poètes tentent
aussi l'expérience. La construction d'un sonnet ambigramme est en cours,
mais elle me demandera sans doute beaucoup de temps encore.
Sonnet palindrome de syllabes
Temps (je l'en mélange tant)
Ces pas m'ont ramené trop réticent près d'elle
À ma source de vie, être inné, méthode où
S'échappe ou recommence -- il ira neiger doux --
L'abaque où l'art se forme en toute citadelle.
Acquitté de parler, n'est-ce au fond que modèle
À rigoler, comme on déclare à Katmandou ?
Délire ou pas, l'écho sied sans lire l'ourdou,
Douloureux licencié collé par roulis d'aile.
D'où manqua ta clarté, mon collègue ? Or il a
Des mots que font sonner les parts de tequila.
Des tacites tourments force l'à-coup, Ballade !
Ou généralissime encore pourchassé,
Doute, ô ménétrier vide ! Ce sourd malade
Et pressenti rétro n'aimera mon passé.
Sonnet palindrome de vers
Vers de vingt sous
Voici la fin de cet empire
Aux poteaux gris et vermoulus.
Mais jamais tu n'oseras dire
Que tu ne domineras plus.
Quand tes yeux se remplissent d'ire
Sans nom, ton avenir s'empire
Et sombre incontinent, reclus
Et sombre incontinent ! Reclus
Sans nom, ton avenir s'empire
Quand tes yeux se remplissent d'ire
Que tu ne domineras plus.
Mais jamais tu n'oseras dire
Aux poteaux gris et vermoulus :
Voici la fin de cet empire.
Sonnet palindrome de phrases
(d'après Georges Perec, p. 222 de l'Atlas de Littérature Potentielle)
Le manoir d'Occam
C'est sûr, en cet Occam venté, les gens déclarent
Que l'antique manoir d'Anne Watson sera
Toujours inquiétant et hanté. La señora
Watson Anne y vécut neuf ans sans nulle histoire
Puis confia ses divans, son bureau, sa baignoire
À la crypte romane et disparut. L'or a
Permis à sa cousine homonyme de ra-
Cheter aux hoirs d'Occam l'étrange territoire.
La señora Watson Anne y vécut neuf ans
Sans nulle histoire puis confïa ses divans,
Son bureau, sa baignoire à la crypte romane
Et disparut. C'est sûr, en cet Occam venté,
Les gens déclarent que l'antique manoir d'Anne
Watson sera toujours inquiétant et hanté.
Sonnet palindrome de strophes (redécoupé en deux quatrains puis deux tercets)
L'heure à sonnet
Toujours la même chose
En tes vers, troubadour :
Nulle métamorphose
N'a jamais vu le jour.
Si le temps est cyclique,
Le bonheur est foutu.
Pourquoi demandes-tu
Si le temps est cyclique ?
Le bonheur est foutu !
Pourquoi demandes-tu
Toujours la même chose ?
En tes vers, troubadour,
Nulle métamorphose
N'a jamais vu le jour.
4 mai 2004
Trous de mémoire
Poinsonnet
La mémoire a sonné, totalement caduque.
C'est en pleurant déjà chez l'ouvreur idéel,
Las et rêvant de doux leurres pers du Sahel,
Qu'a gémi l'exempt mort, sot mal heurtant qui truque.
Tu pensas n'oublier, par un flash noctiluque
Qu'on voit à renfort d'yeux, ta science, outil réel.
La camarde lava vitre et son lacs cruel ;
Sa faux létale y rit et tapote en ta nuque.
L'âme est moissonnée tôt : le manque a cette ampleur
Des jachères ridées, lacérées de douleur.
Perdu, saccagé, mis en morceaux, l'heur t'en quitte.
Tu pends, sablier. Paf ! la schnock t'y convoita.
Or Dieu t'a soutiré la came à la va-vite :
On l'a cru s'affoler, l'irrité potentat.
Ésope fils (le roi ès tags)
Il s'agit d'« holorimes stroboscopiques ». Les tercets sont obtenus
à partir des quatrains en en éliminant une syllabe sur quatre :
la mé moi [ra] so né to [ta] le man ka [duk] sè tan pleur [an]
dé ja chè [louv] re ri dé [èl] la sé ré [van] de dou leur [re]
pèr du sa [èl] ka jé mi [lèg] zan mor so [ma] leur tan kit [ruk]
tu pan sa [nou] bli yé pa [run] flash nok ti [luk] kon voi ta [ranf]
or dieu ta [sian] sou ti ré [èl] la ka ma [rde] la va vit [rés]
on la kru [èl] sa fo lé [ta] li ri té [ta] po tan ta [nuk]
En rab, un distique holorime bègue :
Ayant raté son évasion, le comte de Monte-Cristo finit ses jours au
château d'If, en méditant ironiquement sur la notion de libre arbitre
Quand on est cantonné, Dantès édenté sait
Qu'entonnait Kant au nez d'antécédent essai.
ô gis, Ésope fils, reste là !
22 mai 2004
Dichotomie
Inspiration
[Frère humain, mortel robot écholalique,
tu ébauches d'obscures vérités en une langue
contrainte donc nouvelle, refusant le vide.
Même fragilisé, sans casque, Goliath doit
combattre l'ignorance. L'écriture sans règles
est un serpent de mer flasque et mal dégrossi.
Travaille la forme pour toucher le coeur,
mais ne lâche pas lamproie pour l'omble.]
Homme ! Automate ! Écho te nomme
hécatombe ! Il les crée au trait,
eux, nos mômes nés comme atomes
ombrés ! Sibyllin et concret,
l'étau tirait ce jeune idiome,
Propos maintenant économe
qu'un atrium n'encombrerait
pas ! Ta cible, philistin (heaume
exclu donc piètre), est l'illettré ;
Auteur libéré de ce geste,
eunecte idiot comme âpre, ô peste,
ô mol intervenant ventru,
Écris sonnets, romans -- qu'un âge
attendri prédomine en cage :
Omble repéré... disparu !
ô esprits fols à élégies_
Ce sonnet de quinze vers est composé de six parties séparées par des
points d'exclamation. Chacune d'entre elles s'obtient à partir de la
suivante en en éliminant les syllabes impaires. On a choisi d'allier
arbitrairement les consonnes aux voyelles qui les suivent ou qui les
précèdent, mais systématiquement de la même façon dans tout le poème
selon cette décomposition syllabique de la sixième & ultime partie :
ta sib leuf il ist in om
ék sklud onk pyèt ré lil lét ré
ôt eurl i bé ré de seuj este
eun èkt idy ok om â prop este
om ol int èrv eun anv ant ru
ék ris one ér om an kun' age
at and ri préd om i nank age
omb le re pé ré dis pa ru
18-23 juin 2004
Surcontrainte de Jouet
Le 17 juin au Forum des Images, Jacques Jouet a (entre autres)
suggéré qu'un alexandrin classique palindrome et monovocalique
en i est probablement trop contraint pour exister. Il a
immédiatement cité le contre-exemple Ici, ici, ici ? -- Ici, ici, ici !
que lui a proposé Harry Mathews, mais c'était pour mieux le
refuser, car ses cinq hiatus ne lui permettent pas d'être
considéré comme un alexandrin classique.
Voici quelques expérimentations personnelles. Le distique suivant évite tout hiatus
Ni fin, ni tin, ni lin, ni gin, ni vin, ni pin,
Ni pin, ni vin, ni gin, ni lin, ni tin, ni fin.
mais on peut lui reprocher une rime intérieure à l'hémistiche du
premier vers. Notez que la rime pauvre finale est classiquement
autorisée car il s'agit de monosyllabes (dixit Alain Chevrier
dans sa remarquable monographie La syllabe et l'écho).
Toutefois, il ne s'agit pas d'un alexandrin palindrome.
Essayons donc
Ni pin, ni vin, ni gin ? -- Ni gin, ni vin, ni pin !
Les substantifs restent hélas répétés, et les vers monosyllabiques
ne sont de toutes façons pas recommandés classiquement, bien qu'il
existe de fameux exemples. Nouvelle tentative :
Ni flic, si rififi rikiki ? Ris, cil fin !
C'est limpide : la police ne se dérange pas pour une querelle
anodine, donc ton bel oeil peut s'en réjouir ! La césure est
faible, me direz-vous ? Il est plus grave que ce ne soit pas
un véritable palindrome ;-).
Allez, juste un dernier hexasyllabe, mettant subtilement en scène
un échéphile dépressif :
Ce message avait pour unique but d'inviter les palindromistes de la
liste oulipo à relever le défi de Jouet.
Patrice Besnard et
Michel Clavel l'ont fait brillamment les jours suivants,
suivis par beaucoup d'autres abonnés à cette liste.
Jacques Jouet a immédiatement corrigé l'énoncé
de son « impossibilité », en y adjoignant une
quatrième contrainte : la rigidité de l'okapi (alternance
de consonnes & de voyelles). Je lui ai répondu du tac au tac que
ça restait faisable, Sidi, si si si si, si si si si si, dis !
Toujours à la recherche d'un faisceau de contraintes ne permettant
aucun texte, Jacques Jouet a finalement proposé : (1) alexandrin
classique, (2) monovocalisme en i, (3) palindrome,
(4) okapi, (5) premier principe de Roubaud (Un texte
écrit selon une contrainte parle de cette contrainte).
J'ai une nouvelle fois tenté le tac au tac :
Ici VI « hi » : hi hi hi hi hi hi. VICI !
qui est doublement autoréférentiel -- l'alexandrin compte la
moitié de ses propres i, et fait part de mon amusement
étonné d'avoir « vaincu » le nouveau
défi ;-). Mais si l'on interprète le principe de
Roubaud de façon restrictive, comme imposant au texte de
définir clairement la totalité des contraintes qu'il
respecte, il est évident que cet essai ne convient pas.
En m'inspirant d'une idée descriptive de
Michel Clavel, et en désignant par c
n'importe quelle consonne, j'ai essayé cette modification :
Ici VI c-i, si. Bis : ici VI c-i.
Cet énoncé définit imparfaitement (à cause des effets
de bord) un alexandrin okapi monovocalique en i. On peut remplacer
le bis central notamment par dis, lis, mis,
pis, ris ou sis, mais bis fait une
vague allusion (?) à l'aspect répétitif du palindrome. Le chimique
cis évoquerait aussi un peu cette symétrie, mais serait encore
plus cryptique. L'inconvénient majeur de cet alexandrin est qu'exceptionnellement,
il ne comporte que 10 i (parce que les c isolés comptent chacun
pour une syllabe), donc il n'est pas autoréférentiel !
14 juillet 2004
Couleurs imaginaires
Humbles contributions personnelles à cet époustouflant
dictionnaire des couleursmauviette (#D2B4B4)
Étymologie :
de mauve et -ette, diminutif dépréciatif Domaine :
satirique Définition :
Fragile violet plutôt maladif Exemple :
Il fit des pâtés de mauviette
en écrivant sa première lettre d'amour à
l'encre lilas Photo :
bas-bleu (#000A4B)
Étymologie :
de bas, inférieur, et bleu, ecchymose Domaine :
littérature médicolégale Définition :
Bleu bitumeux, jadis jeté en poudre aux yeux des
portraits, mais devenu aujourd'hui franchement obscur Exemple :
Être disqualifiée pour avoir
couvert une adversaire de bas-bleu Photo :
sali vert (#5F6437)
Domaine :
langue vulgaire Définition :
Couleur du mollard, voisine du caca d'oie Exemple :
Qu'est-c' tu glandes, sali vert ? Photo :
pie-jaune (#FFFFFA)
Étymologie :
du latin « picus galbinus », béjaune Domaine :
aviculture Définition :
Blanc presque pur du plumage des jeunes colombes,
émaillé de rares touches de duvet encore jaune Exemple :
Rire jaune mais dire merci pie-jaune Photo :
sporange (#DC6437)
Étymologie :
mot-valise, de sport et orange Domaine :
football Définition :
Couleur du supporter hollandais proche de l'orgasme Exemple :
Le sporange du lingam est focalisé sur les athlètes Photo :
cyrrose (#F5B98C)
Étymologie :
de Saint-Cyr et rose Domaine :
militaire Définition :
Rose légèrement orangé,
comme le visage d'un saint-cyrien éthylique Exemple :
A cyrrose is a cyrrose hips a cyrrose Photo :
trou-blanc (#FAFAFF)
Domaine :
gravitation relativiste Définition :
Blanc extrêmement lumineux, caractéristique
du rayonnement thermique des micro-trous noirs Exemple :
L'évaporation quantique produit un gaz de photons trou-blanc Photo :
gris-gris (#7F7F7F)
Étymologie :
redoublement incantatoire de « gris » Domaine :
magie noire Définition :
Gris étain, couleur d'amulette grattée Exemple :
Tous les cha-cha-cha se dansent en gris-gris Photo :
gludureÉtymologie :
invention de Coucho dans « Fluide Glacial » en 1979-80 Domaine :
BD & SF Définition :
Couleur fascinante, d'origine extraterrestre Exemple :
« L'homme au costard gludure » Photo :
26 juillet 2004
Lettre adressée à Mme L. Adler,
directrice de France Culture,
pour protester contre la suppression des « Décraqués »
quotidiens de Bertrand Jérôme & Françoise Treussard
Chère Madame Adler,
J'apprends avec détresse
l'arrêt des « Décrackés » de cette antenne, hélas !
Écarter des experts de grand talent, des as
en verbes, verve et vers ? La vaste maladresse !
Cette lettre se dresse envers telle sentence.
De Bertrand et d'F.T. cherchez le palmarès
dans la presse et les arts. Ne jetez ad patres
ces papes de la tête : épargnez l'excellence !
Ne me saccagez pas les vacances d'été
et ne préparez pas de septembre raté :
demandez fable express, anagramme, aphérèse !
C'est patent, régresser engendre des regrets ;
partant, prenez le temps d'enlever ces décrets.
Dans cette ferme attente,
émargé : Gef Farèse
La création n'est pas rentable
pour la cheftaine épouvantable.
On l'entend braire étranges mots :
« J'remontre barde et ses marmots
dont je rembarre la voltige. »
Afin d'expédier ce litige,
ô brr, entre, mégère-grand !
Elle rait mais gerbe trop, rend :
cela va la démontrer barje.
Un jour Adler prendra le large
et les Papous seront vengés
sans dire « ô brrr, être mangés
par une tyranalphabête,
ô brrr, terme géant qui guette ! »
Brrr... Ô Maître géant, reviens
causer des bonheurs diluviens,
déjà berner mort et couleuvre ;
B.J., redémarre ton oeuvre !
7 août 2004
Fable express clunisienne
Contradiction
Au lieu de rêvasser
À quelque vierge morne,
Il préfère chasser :
L'Adam hallali corne.