Oulipatagon
Sonnet provenant des antipodes. Il s'agit
d'un chant de consolation lipogrammatique
en A, qu'on entonne à la période des inondations.
Son titre est « i snou-snosqe ».
i opop : snou-suowwosse (snqe uos no sn uos ns e uo) snou-suosued 'ehew xeuedodo,p - xnepouhs swnwwns xne snou-suodnp 'snou-suodop nsued epued un,p no eoq uoq un,p suodnos qeqoeq seq un snos snu seqwes sou suosuep qeqeu ne ewnd un 'npop uoed un suopuew i seded xne suewew sou suopnos : swep sou suonbsew uopueqe xnop un suep - noqweq ne seueue,p eddeu uo,nb uownes np 'ueueu np suossewe i suop sou snos 'sueq sou snos wepe suonopewe edwhs ozno un suep xnew sou suohou snou no suopnoq snou 'sueshed - xnehoq sou suonou snou 'sedwed sou suep snssoq 'pns np suossnow sou snos suophxo snou snou puenb : « snoded » suowwou snou snou
Explication
(animation Flash de 11 Ko). Comme le format Flash n'est plus
disponible depuis 2021, j'en ai effectué une
traduction au format SVG. À
titre historique, voici aussi ma première & laide
animation GIF de 70 Ko.
P.S. du 15/11/19 :
Nicolas Graner m'a envoyé cette
lecture du poème (fichier MP3
de 380 Ko) par un natif de Patagonie
Fait divers renversant
Preuve irréfutable que le sonnet « El Desdichado » de Gérard de Nerval est un honteux plagiat de la « Ballade du Griescheulx » de François Villon.
Version unisexe d'El Desdichado de Nerval.
Palindrome inspiré d'El Desdichado de Nerval.
Deux hommages au romancier Jean Lahougue
[Le premier analyse une nouvelle qu'il a publiée dans le
numéro 4
de la revue annuelle Formules, en
respectant évidemment les contraintes en question.
Le second est une contre-imitation de son article contre l'imitation,
publié dans le numéro 5
de la même revue.]
Un hologramme de Jean Lahougue
En pages 100-125 de Formules n°4, Lahougue a publié une étonnante nouvelle intitulée L'oratoire des aveugles. Comme d'habitude, son récit fournit plusieurs interprétations des événements, avec brio et finesse. Mais par une analyse formelle, le lecteur peut décou- vrir encore d'autres pistes. Tout est fait pour nous rendre serv- ice dans notre travail de détective. Les contraintes de la lettre lumineuse de Ruet, pp. 101-102, sont en effet bien soulignées. Il a tout d'abord assemblé des m pour dessiner un M majuscule, qu'il balise en figure 2. Ensuite, le message télépathique de la Vierge a été reproduit sous forme d'acrostiche circulaire. La ligne ini- tiale (Mon Seigneur) est suivie des lettres de la marge droite en incurvant sa lecture de haut en bas, puis l'on passe à la signat- ure de droite à gauche (...me d'éructeurs), et l'on suit pour fi- nir les lettres de la marge gauche de bas en haut. L'auteur ayant exprimé une visible sympathie pour Ruet, et surtout un amour aigu voué à de renommées mises en abyme, on devine l'immense art qu'il intègre là : comme le curé, il a respecté brillamment le choix de ses règles. Le micmac de la première page, l'âme même de ce texte inouï, se dissimule masqué en acrostiche, limite marginale où nul opalin palindrome n'a manqué pour finir. Impatiemment, on a primo noté des alignements de multiples g, comme pp. numéros 116-7. Or, on pourra en compter un nombre assez imposant formant des croix à identifier. Là maints a s'emmêlent, mis en pp. numéros 102-4; tôt suivent des r amarrés à des g monumentaux, aux numéros 105-7; co- ïncident alors moult i (108-10) mais aussi des e mis en 111-3; ci vient une sublime "araigne", faite d'un corps de m et de six sur- expositions en m, e, g, a, r et i... Si l'on ne "m'égari" pas, le nom béni Marie/magie/Margie était prévisible, de même que le méd- usant symbole empreint de quatre croix. Quant au mirage du terme, il confirme l'importance de la marge ! Qui ira gémir, alors ? Es- tu prêt à réexaminer le texte, lecteur ? Son ensemble se révélera avec lustre comme une anamorphose du plan du bâtiment : leitmotiv béat de ce fragment, le M de la lettre de Ruet remplace la statue adorée de la Dame, les quatre croix servant justement d'ogives où l'astre anagrammatique final incarne le choeur. Immensément long, il s'étire verticalement et justifie la chute parabolique... Quel véritable tour de force ! Bien que l'auteur prétende ne pas faire exprès, il est incroyable de noter que son conte mêle deux règles relatives aux hologrammes, ces fascinantes "photos en relief". Et ne confondons pas : un fragment de photo normale ou même de diapo exhibe un détail de l'ensemble, mais si nous découpons un morceau réduit d'hologramme, il recèle encore toute l'image ! Le courrier ultra-contraint de Ruet contient de même toutes les lois du grand épisode. En termes mathématiques, tout hologramme encode l'espace tridimensionnel sur un "bord" de dimension 2. De même, l'impulsif narrateur a reproduit sa première page-source en acrostiche mono- étendu sur le "bord" du texte. Le miracle n'est plus à élucider : Margrite Lerai a dû être abusée par un hologramme virginal, donc. En rêv il a bâti une vision oisive, nuit à baliverne. Ruet ne me- sure de vertige régi. Trêve de ruse, menteur ! Et l'axe s'exalte.
26 arguments conjecturaux en faveur de l'imitation
(a) Méfiez-vous des signatures. La qualité n'est pas
toujours au rendez-vous.
(b) Borges l'a souligné : si le deuxième
poète à utiliser une métaphore est un plagiaire,
les suivants sont en revanche des classiques.
(c) S'emparer du style d'un auteur disparu, c'est le ressusciter; et
c'est multiplier son existence s'il est toujours en vie.
(d) Singer nous dit bien qu'imiter est naturel. Il n'y a rien de
nouveau sous le soleil.
(e) La notion d'identité est un leurre. Tous les chats sont le
même chat. Magrite est tous les hommes et nous sommes tous
Magrite.
(f) Le cancre a le mérite de l'avoir compris tôt.
(g) Toute langue, aussi originale puisse-t-elle paraître, n'est
que le réagencement désordonné de lettres, de mots
et d'expressions rabâchées. Ah, langue joue ?
(h) Être inimitable, c'est se priver de toute communication. Oh
Ana jugulée !
(i) Prononcer le moindre son est déjà une imitation des
borborygmes de Cro-Magnon. Le jaune Hugo a jeu hanalogue : sa
rhétorique est brillante, mais il n'a pas inventé le
français.
(j) S'imiter soi-même, c'est imiter sa façon d'imiter les
autres.
(k) Le jeu à louhange du nombrilisme est donc une manière
détournée d'observer le monde extérieur à
travers l'aleph ombilical.
(l) Rester soi-même, c'est refuser toute influence, être
sourd, muet, aveugle, autiste et amnésique. Le solipsiste se
forgea.
(m) Pour vous reconnaître, écrivez un lipogramme en tout
l'alphabet, et tranchez-vous les veines avec un couteau sans lame
auquel manque le manche.
(n) Personne n'est personne n'est personne.
(o) Un pastiche indiscernable de son modèle prouve que celui-ci
n'était pas inimitable.
(p) Mais le véritable expert saura toujours détecter la
copie, même parfaite. Cervantès est bien falot devant
l'inventivité verbale de Pierre Ménard.
(q) Les imitateurs de Van Gogh n'ont pu vendre qu'un seul tableau de
leur vivant. Ils avaient poussé la ressemblance trop loin.
(r) Pourquoi le public s'obstine-t-il à admirer les oeuvres de
Shakespeare, pourtant écrites par un obscur homonyme ?
(s) Associer l'idée de création artistique à
quelques patronymes précis est une invention mercantile.
(t) Personne ne portait le moindre intérêt aux
croûtes de Van Meegeren avant qu'il ne les signe Vermeer.
(u) Pour apprécier une oeuvre, la seule attitude saine est
d'oublier le nom de l'auteur, puis la découvrir comme si
c'était un premier ouvrage.
(v) À défaut, on pourra imaginer qu'elle a
été créée par quelqu'un d'autre :
Bach, Vernier, Picasso... Un grand texte doit toujours être plus
fort que sa signature, aussi imposante soit elle.
(x) Depuis la préhistoire, l'humanité n'a écrit
& réécrit qu'un seul Livre, celui de sa vision du
monde (réel et idéel : l'autre est amont).
(y) Nous n'avons progressé ni en invention ni en art, mais en
nombre, donc seulement en complexité.
(z) La preuve flagrante que ce texte est une imitation est que l'auteur
n'en croit pas un mot, pas davantage que dans le texte original de Jean
Lahougue.
Ambigrammes oulipiens
mis au point dans un train le 10/02/2001 (fête du Palindrome),
et redessinés par la suite sur ordinateur.
[N.B.: J'ai retravaillé leur calligraphie en 2005. Chacun des mes dessins de 2001 est donc suivi d'une deuxième version en général plus élégante.]
L'inversion de lettres ou d'images joue un rôle important dans l'oeuvre de Georges Perec. Rappelons simplement son inscription cryptique sur le manuscrit de W ou le souvenir d'enfance, W6W0146, ou son palindrome vertical « andin basnoda a une epouse qui pue. »
Si l'inversion de son prénom ne pose pas de gros problèmes, son nom nécessite en revanche l'astuce d'un encadrement, de manière à transformer le "c" final en "P" initial :
La version dynamique ci-dessous tourne onze fois sur elle-même.
[Cliquez sur l'image pour l'agrandir à la taille de votre fenêtre. Mon animation GIF initiale reste aussi disponible.]
Bien sûr, rien n'interdit d'inverser simultanément le prénom et le nom :
Vous remarquerez la parenthèse finale, qui transforme le "c" de Perec en un "G" initial. On peut éviter ce trait supplémentaire en utilisant un "g" minuscule, mais le résultat obtenu est nettement moins lisible :
Signalons enfin que d'autres types de symétries sont possibles, par exemple selon un axe vertical (avec toujours la même astuce de l'encadrement) :
C'est la seule façon dont j'ai réussi à inverser le nom de Jean Lescure :
mais son prénom est plus simple avec une symétrie centrale :
Le contraire se produit avec Michelle Grangaud, dont le nom s'inverse joliment par rotation de 180 degrés :
mais le prénom est légèrement plus naturel avec une symétrie d'axe vertical :
L'OuLiPo s'inverse sans la moindre difficulté :
mais les noms de ses fondateurs, François Le Lionnais et Raymond Queneau, m'ont donné du mal. J'aime assez l'inversion du "s" de François en "L" majuscule, mais le "Le" central est plus faible. Quant à Queneau, il me faudra clairement le revoir.
En août 2003, l'oulipien Stanley Chapman m'a demandé un autre ambigramme du nom de Queneau pour une affiche, et voici le résultat techniquement supérieur que j'ai obtenu :
Les trois Jacques de l'OuLiPo (Roubaud, Bens et Jouet) sont plus intéressants car l'inversion de leurs noms crée automatiquement une calligraphie personnalisée :
Notez la façon dont le "cq" devient le début de "Bens", avec un "e" légèrement éclipsé par le "b".
À propos de calligraphie personnalisée, le 'pataphysicien (et néanmoins oulipien) Stanley Chapman pouvait difficilement échapper aux gidouilles [cliquez sur l'animation centrale pour en afficher une version SVG à la taille de votre fenêtre] :
François Caradec semble aussi pris dans un tourbillon alcoolique, mais son éthique le rend nettement plus sobre :
Je n'ai pas encore cherché d'ambigramme de Noël Arnaud, mais celui que j'avais construit pour le 25 décembre dernier lui semble prédestiné; les gidouilles sont ici à peine évoquées :
Harry Mathews a droit à un deuxième "r" rigolard, et pourtant graphiquement très proche du premier :
Le nom d'Hervé Le Tellier se retrouve curieusement constitué de segments de droite :
Les deux "l" semblent l'inviter à la marche à pied ! Notez que les "E" (déjà utilisés plus haut dans les ambigrammes de Perec) ne sont pas invariants par rotation de 180 degrés, mais se lisent tout de même "E" dans les deux sens.
Le nom de Ian Monk m'a demandé beaucoup de travail, notamment pour l'inversion du n-M central, mais le résultat me semble particulièrement élégant :
Luc Étienne est probablement le nom le plus difficile à inverser. On y arrive toutefois avec de sérieuses contorsions :
Le prénom d'Italo Calvino n'est pas non plus très lisible, mais en revanche, son nom ne pose pas de problème majeur :
J'ai été obligé d'intervertir les nom et prénom de Marcel Bénabou pour construire l'ambigramme suivant :
L'idée la plus intéressante me semble être l'inversion du "B"
initial en "cel". En revanche, le "bo" central doit être revu.
Inverser séparément le prénom et le nom conduit à
un ambigramme plus lisible :
De la même façon, intervertir les nom et prénom d'Olivier Salon conduit à un ambigramme acceptable :
mais leur symétrisation séparée donne un résultat graphique bien plus intéressant :
Comme Paul Braffort a composé de nombreuses chansons, il m'a semblé intéressant de décorer son nom de deux liaisons musicales, bien que ça n'apporte rien à la lisibilité de l'ambigramme :
Le nom seul de Paul Fournel est plutôt facile à inverser
mais la symétrisation simultanée de ses prénom & nom m'a longtemps semblé impossible. Avec quelques contorsions, j'ai finalement obtenu ceci :
Beaucoup d'autres personnes s'intéressent à la littérature à contraintes en dehors de l'OuLiPo. La revue annuelle Formules y est notamment consacrée. Son titre s'inverse sans trop de difficultés :
Ces ambigrammes évoquent en outre certaines formules mathématiques (signe d'intégration, chiffres 0 et 1). Il est sans doute aussi possible de déformer le "r" pour qu'il ressemble à une racine carrée.
J'avais déjà cherché il y a longtemps comment inverser les noms des créateurs de cette revue, Bernardo Schiavetta et Jan Baetens :
Stéphane Susana, palindromiste de grand talent, se charge de la mise en page de cette revue. Il se trouve que son nom s'inverse de façon naturelle :
Alain Chevrier, érudit et spécialiste (entre autres) des monosyllabes, est aussi rédacteur de cette revue.
L'un des auteurs de la revue Formules, Brandt Corstius -ou Battus-, m'a offert son superbe livre "Symmys" consacré aux palindromes en toutes les langues. Ma lettre de remerciements commençait par ces trois ambigrammes :
Bernard Magné est certainement le plus grand spécialiste de Georges Perec. La symétrisation de son nom m'a conduit à un "ambigramme infini", c'est-à-dire inversible seulement si l'on prolonge indéfiniment la ligne à gauche et à droite :
Ce caractère "infini" peut être illustré en présentant l'ambigramme sur un cercle :
Permettez-moi pour finir de signer cette page, non pas avec mon simple prénom Gilles
comme je l'ai déjà fait une ou deux fois, mais avec une inversion de la totalité de mon nom, Gilles Esposito-Farèse, mise au point le 10/2/01 :
Notez la façon dont le "g" initial s'inverse en "ese", et dont le "es" d'Esposito correspond au "to".
Le nom de naissance de mon épouse, Marina Saadia Otero, peut également être symétrisé avec quelques contorsions graphiques (les cinq "a" sont différents !) :
mais les vagues de son prénom seul font joliment allusion à sa nature marine :
Cet ambigramme, qui date de 1995, reste à mon avis l'un des plus intéressants de ma collection.
[Voir aussi ces ambigrammes du
Desdichado
et des noms d'Éric Angelini,
Estelle & Philippe,
Élisabeth Chamontin,
Patrick Flandrin,
Nicolas Graner,
Pascal Kaeser,
Jacques Perry-Salkow,
Robert Rapilly,
Frédéric Schmitter
et Alain Zalmanski]
Diagonnet 10x10
Mini-sonnet (rimes aba/bab/cd/cd) de décasyllabes
(césurés 4/6) formant un poème carré
syllabique, c'est-à-dire lisible (syllabe par syllabe) aussi
bien verticalement qu'horizontalement.
Léger regel
Dois-je écarter cette tachycardie ?
J'écoute : un rien là s'imprime à l'envers
Car un typhon moudra ce vendredi !
Terrien foncé, son ton change et l'avère :
C'est la mousson, nuit d'environ midi...
Te ceindra-t-on d'engoncé pull-over ?
T'appris ce chant viscéral, anguleux,
Qui mal vengeait : rompu en ne rêvant
Qu'à rendre l'âme, il augurait, frileux,
Dix vers d'hiver dits vers le vent levant.
Le sport a gélifié ses os_
gef@iap.fr
[Voir aussi ce diagonnet 8x8 en hommage à Borges,
le cube syllabique 4x4x4 ci-dessous,
ce diagonnet 12x12 constituant un sonnet,
et cet ardhabhrama 2x7x7]
Diagonnet tridimensionnel
Cube 4x4x4 de syllabes, invariant par rotation de 120 degrés
autour d'une grande diagonale, et tel que tout sous-plan 4x4 constitue un diagonnet.
Il y a 3! = 6 façons équivalentes de lire ce poème. Tout
comme la structure des diagonnets impose certaines rimes intérieures,
cette variante de dimension 3 impose la répétition de vers à
des emplacements précis.
Le temps s'écoule.
Tant pis, c'est l'heure.
Cessez vos dits
couleur d'hiver.
Tant pis, c'est l'heure.
Pitié, la trêve
scella très tôt
le rêve osseux.
Cessez vos dits.
C'est là, très tôt,
vos rets toilés
dits au Léthé.
Couleur d'hiver,
le rêve osseux
dit au Léthé :
Verse tes flots.
Sens caché
[Un abonné à la
liste oulipo a proposé d'écrire
un texte en lignes isocèles de moins de vingt
caractères, dont le thème apparent serait joyeux,
mais contenant un sens caché plus grave.
Voici la réponse que j'ai rapidement
improvisée.]
Perec cache en général (toujours ?) des allusions douloureuses à sa biographie, même dans ses exercices apparemment les plus rigolards. Comme Poe l'a souligné, la meilleure cachette est d'ailleurs en évidence : il suffit souvent de lire la _même_ chose en biaisant légèrement son point de vue pour qu'un sens plus grave fasse son apparition. On pourrait citer des centaines d'exemples, mais en voici un fort joliment souligné par Catherine Binet dans ses films "Te souviens-tu de Gaspard Winckler ?". Comme l'auteur n'a pas respecté l'isocélisme réclamé (dans ce texte), je me permets de l'adapter : G. Perec se souvient de "Quelle est l'inégalité entre 1/ la tour Eiffel 2/ ton tee- shirt 3/ ma famille ?". Quand l'ami sacrifie sa langue pour le chat, on lui riposte "1/ La tour dite Eiffel nous semble colossale ; 2/ ton tee- shirt, lui, est sale au col !" Mais alors l'ami s'avise, et s'interroge avec bêtise "Ben, et ta famille ?". La réponse, depuis fort longtemps à l'esprit du lecteur (et qu'on avait prévue dans "son ironie même" riait Jojo Perec) est hâtée : "Quel con ! Elle vivote bien merci. Nul, non ?" Vous aurez sans doute noté qu'il y a 11 colonnes et 43 lignes, mais il est plus difficile de voir le mot écrit en bas à gauche, suivant une diagonale sénestro- descendante. Il biaise le point de vue.
Sonnet barbare
François Le Lionnais a proposé le 11/03/64 la notion de "poème-barre" [in Oulipo, "La littérature potentielle", Folio essais n°95, p. 231], la "barre" faisant sans doute allusion à la notation mathématique des adjoints (ou des conjugués, ou moins couramment des complémentaires). Les vers doivent ici rimer par leurs premières syllabes, mais surtout pas par leurs dernières. Le Lionnais en donne trois exemples inspirés d'olorimes célèbres de Marc Monnier, Alphonse Allais & Charles Cros :
Gall, amant de la Reine, alla – c'est étonnant –
Galamment de l'arène à la place Dauphine.
Par les bois du Djinn, où s'entasse de la peur,
Parle et bois du Gin ou cent tasses de bon vin.
Dans ces meubles laqués, rideaux et fauteuils club,
Danse, aime, bleu laquais, ris de tes calembours.
Allais avait plusieurs fois plagié FLL par anticipation, notamment en évitant de justesse une trivialité dans un distique devenu immortel :
Ah ! vois au pont du Loing ! De là, vogue en mer, Dante !
Hâve oiseau, pondu loin de la vogue ennuyeuse.
mais aussi avec ses vers "néo-alexandrins" de mars 1899 (qui innovent encore davantage, comme on pourra se le remémorer en visitant la page de N. Graner <http://graner.net/nicolas/OULIPO/guilly-exp.html#ref>). Touché par la grâce du Grand Clinamen, j'ai trouvé amusant d'explorer la construction directe d'holorimes défectueux. Le but du jeu est ici de ne _pas_ cacher de véritables rimes ni de déformer des classiques, mais d'avoir un état d'esprit similaire aux contraintes "Canada Dry". Commençons par un distique dont l'envolée fait un atterrissage forcé.
La Terre a le manteau de boréale aurore
latéralement aux deux bords, et alors quoi ?
Nicolas Graner m'a fait remarquer qu'on dirait du Le Tellier, mais je ne sais plus pourquoi, déjà. On peut essayer des variations multiples (décrivant la performance d'un chanteur, avec quelques approximations sonores comme les syllabes initiales le suggèrent : la si da ré my) :
Là, si tard, ému et toussant tant qu'un moteur,
l'assis taré muait; tous sentant qu'un mentor
là cite « Arrêt muet ! » Ou tançant qu'à mentir :
« Lacis, tas remué ! Tout sans temps, comme atours !
La cithare est muette où s'entend qu'un mot : taire. »
La scythe Art aime huer tous en tant qu'immatures...
Je vous propose pour finir un poème composé de tels distiques-"barre" mais constituant néanmoins un sonnet régulier, par la magie du schéma de rimes. Il s'agit d'une adaptation plutôt "barbare" d'un des bijoux de la langue française : "Les conquérants" de José Maria de Hérodote.
Là c'est des querelleurs hors du repaire en plomb,
Lassés d'écoeurer leur ordure péremptoire,
Des cols laids de Moguer, routiers aux journaux longs
Décollaient, de mot "guerre" outillés(1) au jour notoire.
Or y faire butin des cent dardants malons(2)
Aurifères : but indécent d'ardents matoirs;(3)
Et le vent nomade en secours salé, allons
Élevant nos mâts : danse, course aléatoire !
L'air inquïet(4) de bras vespéraux l'endeuille et
L'airain, qui aide brave, espère au lendemain
Épancher peu ou prou une opale irradiée;
Et penché, peut, où proue --hune aux pâlis radeaux--
Des voilés sous les cardinaux va ses chemins,
Dévoiler, soûl, l'écart : dix novas sèches d'eau.(5)
(1) outillés : prononcer "outiés" (synérèse). (2) malon : ce mot ne signifie que "dalle". (3) matoir : outil pour travailler le métal. (4) inquiet : prononcer "inquillet" (diérèse). (5) Notez que par un savant effet d'irradiation métatextuelle (appelé aussi "tactisme", si vous trouvez ça plus clair), la dernière strophe s'enfonce dans une obscurité mallarméenne au moment où la nuit tombe.
Renga gréco-latin
[copie d'un message envoyé sur la
liste oulipo]
Ce message comporte quatre parties : * une introduction formelle à la poésie japonaise; * une proposition faite pour en adapter le "renga"; * un exemple de poème de ce type; * quelques détails sur ses multiples contraintes. ------------------------------------------------------- Un "renga" est un poème en chaîne, ren (ou len) voulant dire "chaîne" (comme dans "chaîne de montagnes"), et ga (ou ka) signifiant "poème". Il comporte alternativement des versets de 17 syllabes (césurés 5/7/5) et de 14 (de forme 7/7). On peut aussi parler de strophes à la place de versets car les césures sont souvent accompagnées de passages à la ligne. Les strophes de 5/7/5 syllabes ont pour nom "hokku" (= portion initiale), et celles de 7/7 sont appelées "ageku" (= paragraphe final). Les "tanka" (tan = bref, ka = poème) ne comportent qu'un hokku puis un ageku, soit une suite de 5/7/5/7/7 syllabes en tout. Le "renga" comporte au contraire une suite aussi longue que l'on veut de telles strophes alternées - souvent de l'ordre de 100. Son vocabulaire doit satisfaire pas mal de règles, les répétitions de certains mots clefs étant notamment interdites (comme dans le sonnet occidental). C'est pour se libérer de ces carcans formels que furent inventés les "haïkaï-renga", pour lesquels aucun mot ne subit d'interdiction, même s'il est humoristique (voire grossier). La dénomination "haïkaï" est donc analogue à notre adjectif "grotesque", dans l'opposition classique grotesque/sublime. Il existe aussi des "haïkaï-tanka" à vocabulaire libéré. Les poètes japonais aimant extraire la quintessence de leurs idées, ils ont progressivement délaissé la forme renga pour le tanka, puis celui-ci au profit du simple hokku (de juste 17 syllabes, donc). Le "haïkaï-hokku", poème de 5/7/5 syllabes sans limitation de vocabulaire, a alors reçu le nom écourté de "haïku". Voilà pour le vocabulaire. L'originalité des renga, par opposition aux tanka et haïku, est qu'ils sont composés par un _groupe_ de personnes, dont les sensibilités ont été choisies aussi différentes que possible. Si l'on ne néglige pas le résultat poétique final, c'est cependant l'interaction des improvisateurs & le processus même de création qui comptent en premier. Les strophes impaires (hokku de 5-7-5 syllabes) doivent être énigmatiques, ou embarrassantes. Les paires (ageku de 7-7 syllabes) sont là pour apporter un dénouement inattendu. Non seulement l'orateur doit changer à chaque strophe, mais il a pour mission de faire aussi dévier le cours du poème. Chaque groupe hokku+ageku ("tanka" dans le renga si l'on veut) doit former un tout cohérent, mais s'éloigner des idées évoquées dans les strophes précédentes. La loi cruciale de cette forme renga est ainsi d'obliquer à chaque pas. ------------------------------------------------------- Ce mélange voulu de sensibilités allié à cette règle de déviation systématique des thèmes abordés me paraît une contrainte sacrément oulipienne. Avant d'oser l'essayer en direct et en groupe, rien n'empêche de l'explorer de façon individuelle et plus calmement. Il suffit d'avoir en tête un certain nombre de personnages différents, et de les jouer à tour de rôle. Ça nous incite à sortir de nos propres sentiers battus - intérêt des contraintes ! Je vous propose ci-dessous un renga de ce type, où j'ai attribué une obsession thématique à chaque « orateur ». Ils cherchent donc à dévier le cours du poème dans leur direction personnelle, lui conférant l'aspect zigzagant caractéristique des véritables renga de l'ancien Japon. Les amateurs d'explications techniques en trouveront un résumé en fin de message. Pour la lecture, il suffit de savoir que le premier chiffre entre crochets (celui des dizaines) représente un orateur de caractère déterminé. -------------------------------------------------------
------------------------------------------------------- Quelques détails sur les échafaudages de ce poème Carré (magique) gréco-latin Polygraphie du cavalier +---+---+---+---+---+ +---+---+---+---+---+ |35 |41 |52 |13 |24 | |19 |14 | 9 | 4 |21 | +---+---+---+---+---+ +---+---+---+---+---+ |23 |34 |45 |51 |12 | | 8 | 3 |20 |15 |10 | +---+---+---+---+---+ +---+---+---+---+---+ |11 |22 |33 |44 |55 | |13 |18 | 1 |22 | 5 | +---+---+---+---+---+ +---+---+---+---+---+ |54 |15 |21 |32 |43 | | 2 | 7 |24 |11 |16 | +---+---+---+---+---+ +---+---+---+---+---+ |42 |53 |14 |25 |31 | |25 |12 |17 | 6 |23 | +---+---+---+---+---+ +---+---+---+---+---+ Dizaines : thème imposé Ces nombres indiquent Unités : contrainte imposée l'ordre des strophes. Thèmes (ou personnalités) Contraintes formelles ------------------------- --------------------- 1. l'amour 1. rigidité de l'okapi 2. l'humour 2. monosyllabes 3. les mois (les saisons) 3. holorimes 4. la mort 4. monovocalismes 5. les mots (l'autoréférence) 5. lignes isocèles (de 21 caractères) Notez que l'on termine en bas à gauche par le couple 42 (nombre magique pour les lecteurs de feu Douglas Adams) Les dizaines du carré gréco-latin sont alignées sur des diagonales, donc le parcours du cavalier respecte l'une des règles du renga : chaque strophe change de personne Schéma de rimes (inspiré de Dante pour les hokku) ------------------------------------------------- aba / cc / bdb / ee / dfd / ... / vxv / yy / xzx 575 / 77 / 575 / 77 / 575 / ... / 575 / 77 / 575 (les chiffres indiquent les nombres de syllabes) L'ordre des thèmes et des contraintes a été choisi pour satisfaire quelques règles supplémentaires. Par exemple les saisons (thème n°3) interviennent toujours dans les hokku (5-7-5 syllabes). Les holorimes (3ème contrainte) ne concernent au contraire que les distiques (7-7) sauf dans la première strophe. Son vers central (b) est donc choisi homophone du dernier heptasyllabe (z). Saisons & monovocalismes sont classés dans l'ordre standard. Pour finir, on peut noter que ce renga n'est précisément pas terminé, puisqu'il lui manque son distique de clausule.
Poésie à flots si légers_
gef@iap.fr
[Voir aussi cette série de haïku, et notamment ces traductions isocèles de grands classiques]
Palindrome minimal trouvé par hasard en lisant un article technique
Sherlock Holmes soupçonne une réparatrice de moteurs à induction
d'avoir caché sa victime,
mais visiblement pas là où il se trouve :
Électromécanicienne ici n'a ce mort celé.
URL palindrome (imitée de Nicolas
Graner) :
<http://www.gef.free.fr/rf.eerf.feg.www//:ptth>
Traduction en décasyllabes rimés et césurés
d'un centon polyglotte
de Bernardo Schiavetta
Le schéma de rimes choisi, ababcbcdcd, est compatible avec la
dernière strophe, ne présente aucune rime plate, et minimise le nombre
de rimes identiques dans l'ensemble du poème. J'ai imposé une alternance
de rimes vocaliques & consonantiques, et non de rimes masculines &
féminines car ce choix était incompatible avec plusieurs strophes.
Les césures sont du type classique 4/6, en les forçant parfois dans
les vers asémantiques.
Vous trouverez également sur ce site le
centon original accompagné
des sources de ses différents vers et de leurs traductions littérales,
ainsi que la propre version
française de Bernardo Schiavetta, en vers blancs.
Il s'agit de la version de juin 2001 de ce poème. L'auteur retravaille ses
textes très régulièrement, et la version actuelle n'est plus
compatible avec les contraintes prosodiques choisies ci-dessous.
RAPHEL
1
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
Interrogeant les âmes infernales
Dans une langue au sens jamais transmis,
Indéchiffrable à tous - originale,
Le premier roi, Nemrod, par vaux et monts
Parle tout seul de façon machinale.
Évidemment, c'est d'un fou le sermon,
Et la discorde entière de Babel
Y met en jeu l'art des pires démons :
« Lamac cahi achabahé Karryel. »
2
« Lamac cahi achabahé Karryel. »
J'ai dit ceci peut-être en me trompant.
Prêt à germer, à pousser vers le ciel,
Le pur écho d'une voix se répand
Dans le passage où mon souffle s'inspire.
De là ce texte obscur, ces vers crispants.
Ce sont pourtant mes écrits, va-t-on dire ?
Non, mes écrits ne sont par moi commis,
Car je n'écris que dans le but d'écrire :
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
3
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
Voici vraiment les premiers mots qui gravent
La confusion des langues, l'asémie.
Les relisant, leur mystère m'entrave
Et je ne dis que leur inanité :
« Abracada-bra d'abracadabrave ! »
Ce sont des mots qui furent inventés
Et néanmoins chante leur ritournelle
Dans mes poumons, sur mes lèvres hantées :
« Damtchi domtchi makarako kiotchel. »
4
« Damtchi domtchi makarako kiotchel. »
Ce que j'écoute est un bruit persistant
Où se blottit la source universelle ;
Car dans mon souffle et dans le tien, j'entends
Tes propres mots et le parler d'ailleurs ;
Oui, dans mon souffle et dans le tien, j'entends
Le sens précis et les voix intérieures
Puis l'éclatant répons d'un tsunami
Par le pouvoir de sa bouche sans heurts :
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
5
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
Né de tonnerre et de foudre, d'éclairs,
Un cri parvient au tympan qui frémit :
« Bababadal-gharaghtakamminär-
ronnkonnbronnton-nerronntounnthunntrovra-
rhounawnskawntoo-hoohoordenenthurnèr ! »
Comment peux-tu traduire ce fatras ?
« Da da da » donc : « Dos droit, dons d'or, doux duels. »
Peut-être bien, mais un autre entendra :
« Fümmüs bö wö, tää zää Uu pögiff äl. »
6
« Fümmüs bö wö, tää zää Uu pögiff äl. »
Même celui qui grogne sait parler
Et le tonnerre ah ! gronde plein de zèle ;
Une grenouille aux crues va jubiler :
« Brékékékèx coax coax » ; copieur,
Alors l'oiseau commence à moduler :
« Ïo, ïo, oyez loriots piailleurs ! »
C'est d'un langage incertain le semis
Dont je retiens, sans gêne, le meilleur :
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
7
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
Seules des voix sonnent dans le silence,
Nouant des liens entre les mots émis
Comme les rets qu'une araignée commence.
Unissons-nous en un seul énoncé !
Il n'y a rien de secret dans nos stances.
Allez, osez ! Parlez, apparaissez !
Ô voix émues, offrez donc une étoffe
À l'inconstant mercure du passé !
« Mank revania dulche scorbidulchoph. »
8
« Mank revania dulche scorbidulchoph. »
Je reprendrai mon discours pro domo :
Le monde est fait de mots et d'apostrophes.
Je suis moi-même un mot parmi les mots
Et nous chantons là n'importe quelle ode :
« Am stram gram pic, pic et colégramo... »
Nous discutons de nombreux épisodes,
De moi, de nous, de lui, de nos amis,
De ce pécheur qu'on appelle Nemrod :
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
9
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
C'est un poème incomplet, semble-t-il,
Où maintes clefs sont données à demi...
En ce nouveau langage au mince fil,
Je bâtirai un hymne de pur rien
Et peu à peu, de temps en temps, subtil,
L'esprit verra que du sens intervient.
Écoute-moi, mais doute en philosophe,
Rends opportun ce que ma voix devient :
« Æptou méô-phæsmê paptou menoph. »
0
« Æptou méô-phæsmê paptou menoph
« Raphèl maÿ amèch zabì almì
« Mank revania dulche scorbidulchoph
« Raphèl maÿ amèch zabì almì
« Fümmüs bö wö, tää zää Uu pögiff äl
« Raphèl maÿ amèch zabì almì
« Damtchi domtchi makarako kiotchel
« Raphèl maÿ amèch zabì almì
« Lamac cahi achabahé Karryel
« Raphèl maÿ amèch zabì almì. »
Bernardo Schiavetta [traduction française de Gef]