Trois grannets
[extrait d'un message envoyé sur la
liste oulipo]
Nicolas Graner nous a envoyé le 23 mai dernier un poème très réussi
intitulé « Shéhérazade », que vous pouvez retrouver sur la page Web
<http://graner.net/nicolas/OULIPO/sheher.html>. Il me semble que sa
contrainte a un bel avenir, car les répétitions qu'elle impose sont
souvent aussi musicales que celles des pantoum, ballade, ou rondel.
Un et un seul vers doit être en commun à chaque couple de strophes.
Je vous propose ci-dessous trois poèmes respectant cette contrainte
et classés par ordre de difficulté de lecture croissante. Tous sont
construits sur la même structure de quintils, choisie telle que les
vers répétés soient les plus éloignés possible. Un schéma est utile
pour illustrer cette propriété [utilisez une police de chasse fixe]
|---------|
|---------------------|
|---------| |---------|
ABCDA EFGBE HICFH JDGIJ
|---| |---| |---| |---|
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|---------------|
Ces strophes de cinq vers m'ont tout de suite fait penser à certain
long poème de Wilhelm de Kostrowitzky et j'ai donc repris ses rimes
croisées et ses octosyllabes. Évidemment, les exercices qui suivent
n'ont pas la prétention d'atteindre la cheville de l'ombre de G.A.!
1. Contribution à notre anthologie de désabonnements
Étouffent mon âme et ma voix !
Je meurs depuis que mes amantes,
les rimes, régies par la loi
de cette liste abrutissante,
étouffent mon âme et ma voix.
Les muses m'ont abandonné
au coeur d'une affreuse tourmente
où l'on méprise mes sonnets !
Je meurs depuis que mes amantes,
les muses, m'ont abandonné.
Frères oulipiens, sauvez-moi !
Pour la dernière fois, je chante
les rimes régies par la Loi
au coeur d'une affreuse tourmente.
Frères oulipiens, sauvez-moi :
Pourriez-vous me désabonner
de cette liste abrutissante
où l'on méprise mes sonnets ?
Pour la dernière fois, je chante :
pourriez-vous me désabonner ?
2. Grannet anagrammatique
[tous les vers utilisent les mêmes lettres dans des ordres différents]
Roman boudant qu'on épuisa
d'un son tabou, panoramique :
mot du bon-à-rien qu'on pausa.
Non au bon opus dramatique,
roman boudant qu'on épuisa !
Ô maraud, bouquin spontané,
pardon ! Non au subatomique
à pantoum quasi-bourdonné
d'un son tabou, panoramique;
ô maraud, bouquin spontané !
Mon Dieu, patron qu'on abusa,
un poumon abat, sardonique
mot du bon-à-rien qu'on pausa :
« Pardon, non au subatomique ! »
Mon Dieu, patron qu'on abusa,
pourquoi m'as-tu abandonné ?
Non au bon opus dramatique
à pantoum quasi-bourdonné !
Un poumon abat, sardonique :
« Pourquoi m'as-tu abandonné ? »
3. Accumulation d'homographes
[le sens des vers est totalement changé
lors de leur deuxième occurence]
Que les nues, le violent orage,
et que nous, avions, nous passions !
Que content des vers de sages ?
Il aurait fallu, nous savons,
que les nues le violent, ô rage !
Tu les graves sous tes convois;
tu les écossais, car ils vont
de Marseille fondre à l'endroit.
Et que nous avions-nous, passions,
tu les graves sous ? T'es con, vois !
Se détacher comme des Pages
le grand but : ce qui va au fond !
Que, content des vers des âges,
tu l'es, Écossais ! Car ils vont
se détacher comme des pages.
Sourd ! Du blanc ou du rouge, bois !
Il aurait fallu nous, savons
de Marseille, fondre à l'endroit :
le grand but ce qui -va, au fond-
sourd du blanc ou du rouge bois.
4 août 2000
Grannet holorime
[Les vers "répétés" ne sont ici pas
identiques, mais holorimes : ils se prononcent de la même
façon bien qu'il n'emploient pas les mêmes mots.
Ce poème fait allusion au « Voyage d'Hiver »
de Georges Perec, et à ses diverses "suites" écrites par les
membres de l'OuLiPo.]
Revoyais-je dix vers ?
Comment songer qu'on ait loi-nié
cet effet « sonnet » qui poussa
Caradec à mettre un ver niais
dans ses livrets qu'on balança
qu'au mensonge, et qu'on éloignait ?
Or, Borrade a tout déchiré
pour éviter tout fait sans foi.
Faut le temps dans ses rets : curée
s'était fait son équipe où ça ?
Hors-bord à date où dèche irait !
On l'a vu gommer un Tellier
que Degrael en plein cita,
car à décamètre un vernier
pourrait vite étouffer cent fois :
on lave Hugo, mais untel y est !
Là Roubaud coupa cet arrêt :
« Dansez l'ivre et con bal en sa
folle tendance, et récurez
que de gras ! » Et l'ample incita
l'art où beaucoup passaient, tarés.
Appoggiature (= petite note)
ajoutée le 13/06/13
Le compositeur français Jacques Ibert (1890-1962) avait
si honte de rimer avec Franz Schubert (1797-1828) qu'il
refusa toute sa vie d'écrire une mélodie intitulée « le
Voyage ». Perec a volontairement respecté son humilité.
8 août 2000
Grannet palindrome phonétique
[Ce poème respecte les règles du "grannet",
définies en haut de cette page,
mais est également invariant par renversement du sens d'audition
d'un enregistrement. Le fichier ulaw "ua.granarg.au"
(1 Mo, attention !) propose une lecture ânonnée mais réversible. Le thème du poème est la mort comme
libération des souffrances, mais l'art plus fort qu'elle de toutes façons. Les « dix jumeaux » sont une allusion
à la forme du grannet, qui comprend dix vers mais
répétés chacun deux fois.]
Et nargue le décès
et cède le grannet
J'irai, lutteur, heurter mes râles
au Malheur dans ces dix jumeaux
givrés : sa traque rude est pâle.
Ô mon père, ne réponds mot !
J'irai, lutteur, heurter mes râles.
La mort t'attend -chut, elle fige-,
homme, et te défait de tes maux.
La paix dure, car t'asservis-je
au malheur dans ces dits jumeaux ?
La mort t'attend, chut, et le fige.
J'y feulai, tu chantas trop mal...
Ô mugis : « Descendre l'âme au
givre et sa traque rude & pâle »,
homme; et te défais de tes maux !
J'y feulai, tu chantas trop mal.
L'art est maître heureux; tu l'ériges,
ô mon père. Ne réponds mot.
La paix dure, car t'asservis-je
au mugi « descendre l'âme haut » ?
L'art est maître heureux : tu l'ériges !
[Voir aussi ce sonnet palindrome phonétique]
11-13 juillet 2000
Haïku et informatique Yves Maniette a transmis à la
liste oulipo
une liste de haïku qui, paraît-il, remplacent au Japon les messages
d'erreur de Micro$oft. La traduction littérale (donnée à
gauche ci-dessous) ne respectait pas la forme du haïku, à savoir
trois vers de 5, 7 et 5 syllabes respectivement. J'ai donc torché en
quelques minutes une nouvelle traduction, donnée au centre. Deux jours
plus tard, j'ai tenté une nouvelle traduction (donnée à
droite), un peu moins fidèle quant au sens, mais cette fois avec
également des rimes (parfois pauvres).
Un fichier aussi gros ?
Il doit être très important
Mais maintenant, il est parti
Un fichier si gros ?
Comme il doit être important !
Mais il est parti.
Un fichier si grand ?
Comme il dut être important !
Reste du néant.
Le site Web que vous cherchez
Ne peut être localisé
Mais il y en a plein d'autres
Le site cherché
N'a pu être déniché.
Allez voir ailleurs !
Le site cherché
N'a pu être déniché.
Ailleurs va pêcher !
Le Chaos reigne ici
Réfléchissez, repentez-vous et rebootez
L'Ordre reviendra
Quel affreux chaos !
Repentez-vous : rebootez;
L'ordre reviendra.
Chaos déclaré !
Songez à redémarrer,
Ça va réparer.
Windows NT s'est crashé.
Je suis l'Écran Bleu de la Mort
Personne ne peut entendre vos hurlements
Windows s'est crashé.
Je suis l'Écran Bleu de Mort.
Nul ne t'entend geindre.
Windows s'est cassé.
C'est l'Écran Bleu du Décès.
Seul, tu peux grincer...
Hier, ça marchait.
Aujourd'hui, ça ne marche pas.
Windows est comme ça.
Hier, ça marchait.
Aujourd'hui, ça ne va plus.
Windows est ainsi.
Hier, ça marchait.
Aujourd'hui, c'est ébréché :
Windows est fâché.
Première neige. Silence.
Cet écran de mille dollars meurt
D'une si belle manière.
Il neige en silence.
L'écran de six-mille francs
Meurt fort joliment.
Neige, calme blanc.
L'écran de six mille francs
Meurt fort joliment.
Restez patient.
Votre colère est inutile
Le réseau s'est écroulé
Reste donc patient.
Ta colère est inutile.
Le réseau est naze.
Ne sois pas têtu.
Ta colère est superflue.
Le net est foutu.
Un crash réduit
Votre coûteux ordinateur
À une simple pierre
Un crash a réduit
Ton coûteux ordinateur
À un gros caillou.
Un crash a réduit
Tous vos onéreux circuits
En un gros méchoui.
Trois choses sont certaines :
La mort, les impôts et les données perdues.
Devinez ce qui vient d'arriver.
Trois choses certaines :
Mort, impôts, données perdues.
Qu'est-il arrivé ?
Trois faits attendus :
Mort, impôts, données perdues.
Quel est votre dû ?
Plus de mémoire
Nous aimerions pouvoir supporter le ciel entier
Mais nous ne le ferons jamais
Mémoire engorgée.
On voudrait porter le ciel
Mais c'est impossible.
Votre ROM chancèle.
On voudrait porter le ciel
Mais c'est irréel.
Ayant été effacé,
Le document que vous recherchez
Doit maintenant être retapé.
Il fut effacé,
Le document recherché.
Faut le retaper.
Il fut annulé
Le document qu'on voulait.
À réinstaller !
Erreur grave
Tous les raccourcis ont disparu.
Écran. Esprit. Les deux sont vides.
Erreur essentielle.
Tous les liens ont disparu.
Vide écran, vide âme.
Quelle erreur infâme !
Tous les liens sont morts : le drame.
Vide écran, vide âme.
17 juillet 2000
Haïku et tanka isocèles
[copie d'un message envoyé sur la
liste oulipo]
Comme Alphonse Allais Les récents haïku qui
l'avait souligné, les ont traversé la liste
alexandrins n'ont pas m'ont redonné l'envie
très souvent une même d'isocéliser des vers
mesure en caractères. irréguliers. Le Japon
Il avait proposé il y nous propose aussi le
a un siècle de pondre tanka, dont les trois
des distiques dont la premiers vers forment
dissymétrie serait un un haïku (i.e., 5-7-5
record. Nous en avons syllabes), mais suivi
rediscuté ici même un par un distique final
grand nombre de fois. d'heptasyllabes. J'ai
puisé tous les poèmes
La contrainte inverse adaptés ci-dessous en
consiste à imposer un diverses anthologies.
même nombre d'espaces
sur des vers de mètre Je donne à droite les
variable. Nous avions versions "littérales"
expérimenté l'idée en dont je suis parti et
récrivant un poème de les noms des auteurs.
La Fontaine, en 1998:
http://www.gef.free.fr/oulipo5.html#151198
Voir aussi ces alexandrins fondants puis gonflants:
http://www.gef.free.fr/oulipo4.html#180398http://www.gef.free.fr/oulipo5.html#020399
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Exemple extrêmement connu de haïku (5-7-5 syllabes)
---------------------------------------------------
C'est un vieux marais Un vieil étang
Une rainette a plongé Une grenouille saute
Bruit de l'eau giflée Bruit de l'eau
[Bashô]
Exemple moins célèbre de tanka (5-7-5-7-7 syllabes)
---------------------------------------------------
Dans le champ neigeux Dans la plaine enneigée
où l'herbe s'évanouit où toute herbe s'abolit
Le strict héron blanc Le héron blanc
va se dissimuler dans s'est enfoui
sa propre physionomie dans sa propre apparence
[Dôgen]
Autres tanka et haïku
---------------------
Comment peut-il luire Se peut-il qu'il y ait
une couleur si foncée une couleur aussi
si noire et si triste noire et triste
En les pupilles d'été Dans les regards printanniers
de ma belle fiancée ? de ma bien-aimée ?
[Hakushu]
Brumes printanières ! Vapeurs printanières !
Ne ferai-je que mûrir Que fais-je d'autre sinon
au bord d'une tombe ? vivre au bord d'une tombe ?
[Josô]
Fleurs des cerisiers, O fleurs de cerisier !
tombez en sombre nuée Tombez en
Au point que le temps obscures nuées
égaré par vos pétales Au point que la vieillesse
ne regagne son chemin en perde son chemin
[Narihira]
L'insecte a très faim Une fourmi meurt de faim
au sommet du minaret: au sommet de la tour:
La lune est trop loin La lune est si haute
[Riichi]
Depuis cette étreinte Après notre rencontre
si j'écoute mon amour quand je vois mon coeur
Je comprends sans mal Je m'aperçois
que jamais auparavant qu'autrefois
je n'avais su méditer je ne pensais à rien
[Atsutada]
Il neige en hauteur ? Neige en montagne ?
Des oiselets inconnus Des oiseaux inconnus chantent
pépient dans la ville dans la capitale
[Shinkei]
Le foehn du printemps Le vent du printemps
éparpilla les pétales disperse les fleurs
de mon songe onctueux de mon rêve
En émergeant du repos Éveillé mon coeur
je continuai à vibrer en tremble encore
[Saigyô]
Quand j'ai enfin pris Quand j'ai vu
connaissance du génie tous mes amis
de tous mes collègues si supérieurs à moi
J'ai acheté une gerbe J'ai acheté des fleurs
et jasé avec ma femme et parlé à ma femme
[Takuboku]
19 juillet 2000En réponse au message précédent,
Nicolas Graner m'a
immédiatement envoyé
les haïku et tanka suivants (notez que sa signature forme aussi
un haïku !) :
Pour ces beaux haikus
Je te félicite Gilles
Chacun d'eux me plaît
Quant aux si subtiles
Tankas du même acabit
Leur rythme cherchant
La dissymétrie habile
Confère ce charme fou
-- Nicolas Graner, haikuiste à l'occasion, mais jamais tankiste
Patrick Flandrin
m'a aussi envoyé un message respectant ces contraintes,
et voici la réponse
que je leur ai finalement adressée sur la
liste oulipo
[les haïkus "russes" dont il est fait mention respectent une
contrainte inventée et illustrée maintes fois par
P. Flandrin avec immense talent : chaque mot doit comporter une lettre
de plus ou de moins que le précédent]
Merci chers collègues écrits vers septembre étang
de vos messages sympa et envoyés en janvier crapaud
J'en suis très touché sont bien plus exquis plouf
P.F. aurait dû poster Abusons de l'occasion Je préfère nonobstant
ce haïku sur la liste pour repasser à Bashô l'incroyable monovoc'
>Mais comment fais-tu dont Doug. Hofstadter qu'un monsieur Kirkup
>pour haïkiser ainsi, a redit en 17 lettres a su créer en anglais
>comme sans efforts ? (au lieu de syllabes) (c'est en fait ce gag
son poème archi-connu qui a inspiré Douglas
Il est vraiment clair rappelé ici pour vous pour le poème évoqué)
que vos âmes élancées
ont su se rejoindre ! C'est un vieux marais pond
Applaudissons Nicolas une rainette a plongé frog
aussi de signer ainsi bruit de l'eau giclée plop !
Le rusé D. Hofstadter
>Nicolas Graner, hai- a su le récrire ainsi Comment pourrons-nous
>kuiste à l'occasion, imiter un tel bijou ?
>mais jamais tankiste swamp |cinq lettres Ce truc s'en approche
tadpole |sept lettres
Chaque fois je pouffe plunk |cinq lettres mare
de ses autoréférences jars
Mais pourquoi Patrick C'est fort incroyable gare !
se moque-t-il de bibi mais il y a aussi pur mais l'idée a disparu
Ses 120 haïkus russes en français simpliste comme le héron lilial
-----------------------------------------------------------------------------
À part ça, j'ai remarqué que l'on peut construire des alexandrins encore plus
longs que ceux proposés sur la liste oulipo début 1999 (en particulier les 12
Borchtchs de Nicolas). Il suffit d'utiliser le monosyllabe Schtroumpfs, qui a
été signalé comme un record dans la 2ème partie du roman "TOM" de René Droin.
On peut par exemple obtenir un distique à rime riche (avec l'accent français)
?%£ [lire : "point d'interrogation, pourcent, livre sterlingue"]
Schtroumpfs schtroumpfs schtroumpfs schtroumpfs schtroumpfs schtroumpfs
schtroumpfs schtroumpfs schtroumpfs schtroumpfs schtroumpfs schlinguent
Le dernier verbe a été signalé par Éric Angelini en 1999. Si vous préférez un
accent anglais, remplacez ce dernier verbe par "swinguent", par exemple. On a
la possibilité de dilater encore le deuxième vers en utilisant la ponctuation
Crise de nerfs d'un comptable français en Angleterre, croyant
soudain être encerclé d'une multitude de puants lutins bleus.
?%£
« Schtroumpfs !... », « Schtroumpfs !... », « Schtroumpfs !... »,
« Schtroumpfs !... », « Schtroumpfs !... », « Schtroumpfs !... »,
« Schtroumpfs !... », « Schtroumpfs !... », « Schtroumpfs !... »,
« Schtroumpfs !... », « Schtroumpfs !... », « Schlinguent !... ».
23 août – 22 septembre 2000
24 variations sur « El Desdichado »
de Gérard de Nerval, plus 3 bêtises finales
[participation au festival "In Folio" de Genève,
du 12 au 15 octobre 2000]
La grande majorité de ces variations a été
publiée en avril 2002 dans le livre collectif Je suis le ténébreux (101 avatars de Nerval)
de « Camille Abaclar », aux éditions
Quintette (ISBN 2 86 850 108 7).
Beau veuf inconsolé pas niais,
guigne un choix de jeux : humour tuant !
Original [publié en p. 9 du livre]
El Desdichado
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Gérard de NervalAmbigramme [publié en p. 86 du livre]
[Le mot "desdichado" peut se lire de la même façon dans un miroir.]Anagrammes [publié en p. 81 du livre]
I deed old cash
(Je transfère du vieil argent liquide par un acte)
Je veux l'élu bénef, le Suisse incontrôlé,
Cet établi d'airain ou l'arnaque polie;
Sot, Tell récolte en tout l'enthousiasme emmêlé :
La loi l'ensorcela, l'entropie démolie !
Qu'il condamnât sa nuit ou m'ait déboussolé,
Il sait duper l'épître emplie d'anomalies.
Qu'il n'a au moins flairé tard où le pactole est,
L'Euro, père amoral, t'assaille... et le pallie.
Un juge Ubu pour moi ? Bah, nous le saisirons :
Ce fou gourmanderait l'orbe noir des étrennes !
Tiens, dévaloriser ajoute à la gangrène...
Filtre aveux que j'arrache ! Évide ! Nous tairons
L'or du tsar et l'amour royal du nu trophée,
Dépouillant les recels des aises tarifées.
Vendra le regard[Chaque vers est une anagramme du vers correspondant dans le
poème original, c'est-à-dire composé des mêmes lettres
dans un ordre différent.
Cette version est l'une des premières à avoir été
écrite pour le Festival In-Folio de Genève, ce qui explique ses
obscures allusions aux richesses suisses.]Lipogramme [publié en p. 42 du livre]
Un Infausto
(Un Chagrin)
J'ai un cafard obscur, sans conjoint, sans amis,
Moi l'infant d'Armagnac à l'aboli donjon :
Ma nova disparaît, car un trou noir a mis
Sur mon luth scintillant sa mort, sa constriction.
Dans la nuit m'inhumant, toi qui jadis m'admis,
Fais-moi don du Bassin aquitain, d'Arcachon,
Du mur où l'aramon grimpant s'unit parmi
La floraison qui plaît tant à mon affliction.
Sois Amour, Apollon, Biron ou Lusignan !
Mon front rougit toujours d'un bisou si royal;
J'ai vu la natation du lamantin fluvial...
Puis j'ai trois fois au Styx pris l'aviron gagnant,
Modulant tour à tour sur un violon divin
Maints soupirs du croyant ou maints cris du sylvain.
G. Labruny[La lettre E n'est pas utilisée.]Monovocalisme [publié en p. 43 du livre]
¡ Me desesperé !
(Le Désespéré)
Je reste enténébré, régent de mes revers
Entre Gers et Vendée, mes temples se dépècent,
Les célestes reflets décèdent et mes vers
Revêtent l'encre ébène et terne des détresses.
Mère très regrettée, en ces stèles sévères,
Rendez les mers d'Égée et les terres de Grèce,
L'été cher de mes sens, entremêlement vert
De pêches et de ceps, ère de mes tendresses.
Est-ce Vesper, Cérès ?... Entends-je Déméter ?
En tête, je ressens ses lèvres de déesse;
Cette femme de rêve émerge et se redresse...
Cerbère est renversé, je pénètre en Enfer,
Et je reprends, le temps des sept thrènes d'Hermès,
Le thème et le secret des fées et des prêtresses.
Gerbert de Nervel[La seule voyelle employée est le E.]M+1 fonctionnel [publié en p. 75 du livre]
Bel Carbonado
Je suis le songe-creux, le bug déboussolé,
Province puritaine à la bourbe amollie !
Ma veule voile est torte, et mon lut révélé
Bosse le sommeil : soir de Mantes-la-Jolie.
Dans l'ennui de Roubaud, toi qui m'as désolé,
Prends-moi la mélanippe et l'amère osmanlie,
Les pleurs qui zézaient tant à mon squire isolé,
Et la seille où la hanse à la prose pallie.
Suis-je humour ou rébus ?... Frontignan ou Chiron ?
Mon tronc est rouille encor du biaisé de l'arène;
J'ai crevé dans le prote où rage le styrène...
Et j'ai de joie, moqueur, renversé Oléron,
Ondulant alentour sur la myrrhe d'Urfé
Les loisirs de la teinte et l'écrit du café.
Pleurard de Serval[Chaque mot est remplacé par le mot de même nature grammaticale qui le
suit dans le « Dictionnaire des rimes et assonances » d'Armel Louis
(éd. Robert), à condition qu'il respecte le nombre de syllabes de
l'alexandrin. L'argot et les régionalismes sont éliminés. Raymond
Queneau a appliqué le même procédé avec un dictionnaire d'usage courant pour
obtenir sa deuxième version ("A+1, S+1, V+1 fonctionnel").]Commentaires sur "Bel Carbonado"
("Le Français au Collège", Nicolagarde et Granichard, 1971)
Ce sonnet a été composé à une période charnière de l'oeuvre de Serval
alors que, désespérant de faire reconnaître son talent dans le grand
public comme dans les milieux littéraires, il commence à se lier avec
les membres de l'Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle). On y
retrouve les thèmes récurrents de ses précédents recueils - douleur de
ne pas être reconnu dont il rejette la faute tantôt sur la société qui
le méprise, tantôt sur ses propres insuffisances ; perfection de ses
poèmes achevés qui masque le travail harassant de leur écriture - mêlés
à des références à ses confrères oulipiens avec qui il entretient des
rapports complexes d'amitié et de jalousie. Le ton général est teinté
d'une amère ironie qui préfigure déjà les sonnets de la "période
grise".
C'est la première fois que Gaspard Rembruni recourt au pseudonyme
Pleurard de Serval, qu'il conservera tout au long de sa carrière. Si
Pleurard est une allusion évidente à son nom de famille, le nom Serval
est en réalité celui de son beau-frère Robert Serval, un médiocre
auteur de romans policiers qui collaborera avec plusieurs écrivains,
dont l'oulipien Georges Perec, avant de se suicider.
Le titre, "Bel Carbonado" (beau diamant noir), annonce clairement un
poème à la surface brillante, polie, mais qui recèle par-dessous des
facettes bien plus sombres. Les diamants noirs sont couramment utilisés
dans les forages, qui symbolisent ici le travail "en profondeur" du
poète qui "creuse" son sujet.
Les deux premiers vers reflètent la manière dont Serval se sent perçu
par ses contemporains, jugés réactionnaires et incultes.
Le troisième fait écho au thème du titre : le poème revêtu d'un enduit
solide (lut) d'essence quasiment divine, dissimule le véritable moteur
de son inspiration, une voile basse et difforme. La conclusion s'impose
à la fin de ce premier quatrain : le poète s'exhorte à travailler
davantage, prenant exemple sur son ami Jacques Roubaud qui, tout jeune
élève du lycée de Mantes-la-Jolie, rédigeait pendant ses insomnies les
oeuvres auxquelles il devrait un jour sa gloire.
Le deuxième quatrain développe longuement le thème de sa jalousie
envers l'oulipien Roubaud - son "ennui", au sens classique de "peine" -
et de tout ce qui, selon Serval, expliquerait ses insuccès : légèreté
excessive (le papillon mélanippe) ; éloignement des goûts dominants
(l'osmanlie, femme musulmane symbolisant une culture étrangère
incomprise) ; mélancolie, qui n'a su séduire qu'un unique lecteur
anglais ; et surtout le mercantilisme de l'époque incarné par la
seille, métaphore de la Bourse (la Corbeille) où les alliances
commerciales (hanse) prennent le pas sur la littérature.
Le premier tercet est certainement le plus désespéré. Ne supportant pas
que ses oeuvres obscures soient interprétées comme de stupides
devinettes, Serval s'avoue tenté par l'alcoolisme (évoquant la villa de
l'oulipien Harry Mathews à Frontignan, où il fut invité à déguster le
célèbre muscat), voire par le suicide littéraire qui laisserait le
champ libre à ses confrères (le centaure Chiron renonça à l'immortalité
au profit de Prométhée). Ce rapprochement du muscat avec le bon et sage
centaure est une référence manifeste à l'oulipien François Caradec,
titulaire de la chaire d'Alcoolisme Éthique au Collège de 'Pataphysique.
Au dixième vers, Le "biaisé de l'arène" est ce toréro que Serval a vu
grièvement blessé lors d'une corrida à Nîmes, pendant son séjour chez
Mathews. Son sentiment d'impuissance devant le drame l'avait
profondément bouleversé. Le premier hémistiche révèle les répercussions
de ce sentiment sur son potentiel sexuel, selon un processus névrotique
très fréquent. Mais l'impuissance sexuelle est aussi métaphoriquement
son manque de créativité artistique.
Le onzième vers rappelle qu'à l'époque où Serval écrit ce sonnet, un
seul de ses manuscrits a été accepté par un éditeur, en même temps que
le "Chant du Styrène" de Raymond Queneau. Mais l'imprimeur (le prote)
s'était arrogé un pouvoir de censure, refusant tout bonnement de
composer le livre de Serval et faisant trainer indûment celui de
Queneau, d'où la frustration renouvelée de l'auteur se voyant une fois
de plus blackboulé, et dépassé par l'un de ses amis oulipiens.
Le deuxième tercet conclut le poème sur une note de poignante dérision,
Serval se retournant sur le passé illustre de ses ancêtres qui rend
plus amère encore sa propre disgrâce. L'île d'Oléron appartenait au
patrimoine des ducs d'Aquitaine dont il descend par sa mère, et
symbolise cette gloire passée que leur héritier n'aurait pas su
préserver. Quand à son plus célèbre ascendant par la branche
paternelle, l'écrivain marseillais Honoré d'Urfé (1567-1625), Serval ne
peut se défendre d'envier son bonheur littéraire (sa myrrhe). En même
temps il méprise les facilités, les couleurs légères de son "Astrée"
que d'aucuns qualifièrent à l'époque de "littérature de café" - nous
dirions aujourd'hui "de gare" - qui semblent hélas la seule voie de la
réussite sociale.
[N.B.: Les réécritures proposées dans
cette page sont de Gef, mais le commentaire ci-dessus est de
Nicolas Graner.]Homophonie [non publiée dans le livre]
Elle dédie Tchador
J'essuie : le Taine hébreu ne veut fleins qu'on salait.
L'heure ainsi t'acquittait. N'alla tout ramolli,
Masse-les toi, l'aime. Or t'aimons, luttons, télé !
Porc te laisse haut les noix de l'âme et l'ancolie.
Dans l'âne, huis du thon-boat, oie qui mâcon-sole est,
Reins, moelle, peau, six slips : elle a merdé ta lie.
L'affreux criblé s'étend à moqueur d'aise aux laids.
Elle attraya le Pan par là, rosse salie !
Singea mort -ouf-, et bus -l'usine en rouble- iront
Confronter roues, gens, corde huppée : c'est de l'art-haine.
J'errais vide en l'agro. Tout -na !- gela, styrène.
Et j'aide oeuf afin qu'heurte averse : elle a quai rond.
Mots du lent troubadour : sûr, l'allure d'orfraie
Laisse où pis de l'absinthe et l'écrit de l'affre est.
J'erre art, deux nerfs valent[Les mots sont tous différents de ceux de l'original mais se prononcent
pratiquement de la même façon. Il s'agit du même genre d'interprétation
que dans la version « verlan » de Georges Perec, mais en partant cette
fois du texte à l'endroit.]Pour malentendants [publié en p. 71 du livre]
El Cachondo
(Le Rigolo / Le Sensuel)
Je suis l'athée scabreux, - le bluffeur gondolé,
Le grinçant La Fontaine à l'humour impoli :
Ma gueule en bois l'exhorte, - et mon but rebelle est
Sortir du sommeil couard sans un torticolis.
Dans l'ennui d'us verbaux, vois qui sait rigoler :
L'émoi lui ploie sa lippe à la terre Adélie !
Hâbleur qui jasait tant, arnaqueur bariolé,
Il embraye en sa chambre une prose salie.
Troubadour ou lapsus ?... Répugnant ou luron ?
Juron farouche accorde aux blasés de migraines !
J'ai trouvé ma marotte : un âge de Silène...
Et j'ai, grivois, moqueur, inversé le mouron
En d'hurlants calembours, en délire étoffé :
Laisse empirer la feinte et le rire esclaffer !
Hilare Carnaval[Chaque mot est remplacé par un mot ayant les mêmes sonorités, les
syllabes accentuées du poème étant conservées. Cet hommage à La
Fontaine fait allusion à son tempérament libertin et paresseux.]
Fable [publiée en p. 72 du livre]
Le Grand-Duc et le Cafard
Prince aquitain, sur sa tour abolie,
Possédait un luth constellé.
Le soleil noir de la Mélancolie
Vint désespérer l'isolé :
« Au secours ! nocturne tombeau.
Rendez-moi l'Italie et ses monts en lambeaux !
Sans mentir, si votre vignoble
Se rallie à vos fleurs si ñobles,
Vous êtes le Phébus de la souche Biron. »
À ces mots caressants, rouge devient son front;
Et pour rêver de la sirène,
Il entre dans la grotte, et module son thrène.
Orphée saisit la lyre, et dit : « Cher Lusignan,
Apprenez que tout gagnant
Pourra deux fois traverser l'Achéron :
Il suffit de gémir comme le saint patron. »
Le beau veuf, obscur et râleur,
Cria, mais un peu tard, comme un ensorceleur.
Gean de Nervalène[Parodie de la fable "le Corbeau et le Renard" de Jean de La Fontaine.]Circulaire [publié en p. 21 du livre]
El Ciclotímico
(Le Cyclothymique)
Isolé avili Aède désolé
Ma terre d'Aquitaine a été abolie
Mon étoile s'éteint et mon luth constellé
Transporte un soleil noir sur mon âme affaiblie
Dans notre ombre au sépulcre Aide aux soins tant réglés
Rends-nous donc cette eau bleue d'où vient l'art d'Italie
Maints plants blonds d'aimées fleurs pour mon coeur ébranlé
Puis leur treille au grand pampre où deux rosiers s'allient
Suis-je Amour l'ample Hélios Schwarzschild voire un Biron
Mon front est toujours pourpre au contact de ces reines
J'ai rêvassé dans l'antre où baignent vingt sirènes
Et j'ai su traverser douze fois l'Achéron
Vocalisant vêtu comme le coryphée
Évoé amuï ô déité ô fée
Jérôme Apollinerval
[Alexandrins de tailles variables représentant un soleil noir
("calligramme"). La ponctuation a été volontairement évitée.]Résumés [publiés en p. 33 du livre]
El Hado El Do
(Le Destin) (Le Do)
Je suis l'inconsolé L'inconsolé
Prince à tour abolie Prince aboli
Et mon luth constellé Est constellé
Porte mélancolie. De l'ancolie.
Nuit qui m'as consolé, Du consolé,
Rends la mer d'Italie Rends l'Italie
À mon coeur désolé Tant désolée :
Où le pampre s'allie. Elle s'allie.
Suis-je Amour ou Biron, Suis-je Biron ?
Rouge baiser de reine ? Rouge, la reine
J'ai rêvé la sirène, - Ou la sirène
Traversé l'Achéron, De l'Achéron -,
Modulant pour Orphée À lire Orphée,
Les soupirs de la fée. Ride la fée.
Rare de Val Gerval
[On ne conserve que la moitié ou le tiers de chaque vers. Il s'agit
d'une application du procédé d'« haïkisation » mis au point par
Raymond Queneau pour éviter les redondances chez « Phane Armé ».]
Mallarméen [publié en p. 32 du livre]
VI *
Le venin, le veuvage, ô vie et temps de fox,
Inconsolablement abolir mon empire
Vont-ils selon l'étoile ou ce luth en inox
Agonis du volvox où sombre mon martyre ?
Rendre, parmi la nuit, Palmyre, Appomatox,
M'embaumerait le coeur, pur Sire que j'admire,
Dans l'amuïssement sépulcral où nul phlox
N'a plus lui rosirait le mur de lamprophyre.
Tu es Pollux, Zéphyr, Porphyre et même Eudoxe !
Ton front rouge où nageait la nixe hétérodoxe
Brûle encore un baiser de reine à rafraîchir.
Victorieusement franchi Styx et stomoxe
Oublié, que du morne ou délirant nadir
Une lyre d'Ophir inspire l'équinoxe.
Stéphard Mallarval
* Sonnet dysphorique de lui-même (NDLA)
NDLR : Il a été remarqué que les rimes choisies forment le verbe
« occire », mais les manuscrits du Poëte ne permettent pas de
déterminer s'il en était conscient.
[Imitation parodique de certains tics d'écriture
de Stéphane Mallarmé.]Viel françoys [publié en p. 121 du livre]
Ballade du Griescheulx
(*)
Tenebreulx suis, poinct comforté, seulet,
Prince acquitain sanz tournelle n'eschoitte;
N'ardent les cyeulx, quant de luz estrelet,
Il est pieça noirsi d'Estrette coitte.
Lez nuict dez mors, quy onc desdaing ne troitte,
Me doint païs & mer naspolitaine,
L'ysnelle rose a mon cuer plus qu'humaine,
Et d'ung traictis pourpris me vueille souldre.
Mais Orpheüs au teorbe rengaine :
Amours, Jhesus ? Quy suis ne sçay resouldre.
Royne, ung baisier au fronct gueules remaine;
Dedans la cave ay resvé la seraine,
Deulx fois brasvé ja l'infernale fouldre.
Oëz clamer saincte ou masgette en paine :
Amours, Jhesus ? Quy suis ne sçay resouldre.
Gerçoys de Nervillon
(*) Les deux premières strophes n'ont pas été retrouvées.
griescheulx = malheureux
tournelle = tour
n'eschoitte = ni héritage
ardent = brûlent
quant de luz = quant au luth
estrelet = étoilé
pieça = depuis longtemps
estrette = détresse
coitte = muette
lez = près de
onc = jamais
troitte = traite
doint = donne
ysnelle = légère
traictis = bien fait
pourpris = jardin
souldre = rendre
rengaine = reprend
resouldre = déterminer
gueules = rouge
remaine = reste
cave = grotte
seraine = sirène
ja = déjà
oëz = entendez
masgette = magicienne
paine = peine
[Imitation de la langue de François Villon.]Clone [publié en p. 129 du livre]
El Desdichado
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron,
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Piéral Ménarve[Cette version respecte un grand nombre de contraintes
oulipiennes : chaque vers est composé des mêmes
lettres que le vers correspondant du poème original (anagramme),
conserve la même structure grammaticale (homosyntaxisme),
maintient toutes les voyelles en leurs positions initiales
(homovocalisme), et suit la même règle pour les consonnes
(homoconsonantisme). Les rimes et les syllabes clefs ont
également été conservées, et la grande
majorité des syllabes non accentuées aussi (homophonie).
Il s'agit pour finir d'un panvocalisme lipogrammatique en k, w et z,
chaque vers contenant obligatoirement toutes les lettres du mot
« bravo » en espagnol (olé). Cette
accumulation de contraintes explique la regrettable obscurité de
ce poème, mais ne pardonne hélas pas ses graves faiblesses
prosodiques, notamment son utilisation à la rime de deux mots de
même racine (inconsolé au premier vers et
consolé au cinquième). L'auteur, descendant d'Herbert
Quain par sa mère et de Jorge Luis Borges par son facteur, a
expliqué sa méthode de travail dans « Comment
j'ai écrit certains de mes sonnets ». Il a
comparé l'anacyclique syllabique de « Dos, caddy
d'aisselles » de Georges Perec au X-7 d'« El
Desecativo » de Raymond Queneau, et conservé les vers
qui coïncidaient.]incarcéré [publié en p. 11 du livre]
un oscuro
-un morose-
mon morne coeur se noue en sa veuve cassure.
on censura mon sacre. on annexa ma cour.
un cosmos sans essor ornera mon armure
en une encre vaseuse - un cancer - au secours.
en ce caveau marron - muse exauce ma cure :
recouvrons mes coraux ma corse mon nemours
ce mur aux aramons ou roses en ramures.
ce roseau rassura mon cerveau sans amour.
sommes-nous uranus mercure mars ou verne...
une couronne a su me nuancer en roux
en un somme une nue caresse encor mon cou.
car nous savons ramer sur ce cours aux cavernes
sussurer ou corner en vacarmes vocaux
ces murmures sauveurs - ces sermons monacaux.
oscar aux nervures[Les caractères qui s'étendent au-dessus ou au-dessous de la ligne
d'écriture sont interdits, c'est-à-dire les lettres b, d, f, g, h, i,
j, k, l, p, q, t, y et z (le z a un jambage en écriture manuscrite),
tous les signes diacritiques, les majuscules, et les signes de
ponctuation autres que le point, les deux-points et le tiret
("contrainte du prisonnier").]Échéphile [publié en p. 109 du livre]
Un mat avenir
J'ai les noirs et mon roi s'est bloqué sur h8.
J'ai perdu reine, tours, et bouclier de pions.
Mon cavalier d5 a dû prendre la fuite.
Au centre il rayonnait; ici c'est un morpion.
Dans ma leucopénie, toi qui es le champion,
Rends-moi la position que tu as bien détruite,
Ma solide italienne et mes rets de scorpion,
Quand ma combinaison brillante n'a fait suite...
Suis-je un Capablanca, un Lasker déclassé ?
J'ai vu trop tard, honteux, l'attaque de ta dame;
Je rêvais de Polgar, cette piégeuse infâme.
Pourtant j'ai obtenu deux fois des pions passés,
Alternant tour à tour mes fous à la Morphy,
Comme un doux Petrossian, un Tal qui terrifie.
Barrer le nigaud[Réinterprétation échiquéenne du poème de Nerval.]Okapi [publié en p. 52 du livre]
Desolado
(Le Désolé)
Je pâlis, isolé, morose, démoli,
Maharajah usé d'un aboli palace :
Le fanal a vécu; la lune m'a sali
La lyre d'un écu de Misère tenace.
Du tumulus amer, ô mon ami, j'élis
Un italo-marin Éden, ère fugace,
Le lys adoré de mon état avili,
Le cépage mêlé de motif à rosace.
Mon âme va d'Éros à Vénus... à Biron.
À ma face rosit une bise d'Irène;
Je rêve de nager avec une sirène...
L'abîme cédera : j'use d'un aviron,
Et itère le cor, apanage du Sage,
Du râle du divin à l'orage du mage.
Curare ne Ravale[Les voyelles et les consonnes s'alternent ("rigidité de l'okapi").]Ode [publiée en p. 53 du livre]
Si on t'humilie,
viens pas nous gonfler
Si t'es avili,
si t'es exilé,
que ton coeur faiblit,
palpite isolé;
si t'es dans l'oubli,
si t'es accablé,
toi qu'on anoblit,
qu'on auréolait;
roi de Rivoli
et de cent vallées,
si t'es démoli,
ta tour écroulée;
ça fait pas un pli :
tu l'as pas volé !
L'étoile pâlit,
lumière brûlée,
lapis-lazuli
qui étincelait;
sur ton luth sali,
ta lyre éraflée,
survient l'aphélie
qui va t'aveugler;
une anomalie
va te craqueler
et le dégueulis
va t'annihiler :
affreuse chienlit
qui te fait chialer !
T'es enseveli
au tombeau scellé;
est-ce dans ton lit
qu'on t'a étranglé ?
Si ça se pallie,
qui va t'épauler ?
Pars en Australie
et va rassembler
de la Mongolie
à la Galilée
tous les pissenlits
et les azalées;
sois pas ramolli,
ça va girofler !
Vois ta panoplie :
t'es pas emballé
par ce patchouli
qui te régalait ?
Ta spasmophilie
te refait trembler...
Vois cet établi
rose et bariolé
offrant des coulis
et de bons sablés,
un friand muesli
et, amoncelés,
mille ravioli
prêts à avaler !
T'es Vasarely,
Émile Gallé
ou Boticelli ?
Serais-tu Paul Klee,
Salvador Dali
ou Zénon d'Élée ?
T'es Farinelli
ou la Caballé ?
Qui t'a embelli,
qui t'a affublé
d'un rouge joli
ton front modelé ?
Un guili-guili
de ta cajolée ?
La nymphe assouplie
savait s'installer
au fond d'un repli
où l'eau s'écoulait;
ton rêve rempli
d'elle déferlait...
T'as peur du roulis,
peur de pédaler ?
Faut que tu rallies
l'Enfer : « Circulez ! »
dira Tabarly;
tu vas cavaler
car il est poli,
certes, mais musclé.
Si tu multiplies
tes vers dédoublés;
si tu concilies
tes chants emmêlés
au son de poulies
qu'aime trimbaler
la noire Kali,
muse ensorcelée;
la vox populi
saura grommeler
et, l'âme en folie,
les gens vont hurler :
« Sa mélancolie
nous fait rigoler ! »
Raymard Queval[Cinq cents syllabes et deux rimes.]Beau présent [publié en p. 60 du livre]
Dead End
(Le Ravagé)
Délavé général égaré en Vendée,
La gêne l'a gagné, l'aléa le gangrène :
La véranda de verre, avérée dégradée,
Grave le nègre Râ de la Rage allergène.
En le gel de l'aven, ange d'ère évadée,
Va rendre le grand large à la rade égéenne,
Vernal verger d'Éden, vendange regardée :
L'allègre nard adné a régalé l'arène.
Égaler de Gardner à Graner ?... À Lagrange ?
Elle lève la lèvre, en règne régénère;
En rêve la nana-narval nage, légère...
Dégagé de danger, dévaler à la grange !
Là, en verve, narrer l'Aède de légende :
Langage déréglé, râle de révérende.
Edgard le Navrer[Les lettres présentes dans le nom de l'auteur
(a,d,e,g,l,n,r,v) sont les seules autorisées.]Belle absente [publiée en p. 61 du livre]
Ser Negativo
(Être Négatif)
Ténèbres : je pâlis, ô veuf ! Qui m'a déchu ?
J'ai vif chagrin, marquis du Poitou aboli.
Mon feu décède opaque, ô luth subjugué, vie
Qui vêt l'obscur Phébus de mon Joug morfondu.
Ô cénotaphe, abîme, ô fog ! Quand je voulus
Ithaque, - plages, mer, Bonifacio, - je vis
La fleur que j'aimais trop, ce béguin avachi
Qui joint pavots flambards, champignons jonchant fûts.
J'aborde Amour, Hélios !... Presque Hugo Victor, fier !
Mon front loucha d'un gai bisou, quand la vamp jouit,
Quand je songeai de cave où flottait l'amphibie.
J'ai triomphé cinq fois du bouledogue Enfer.
Je module un théorbe épique en cent vingt fugues :
Soupirs béats de juive, ou fée qui semonce "ugh".
Évrard le Danger[Chaque vers contient toutes les lettres de l'alphabet sauf
k, w, x, y, z et une sixième lettre. Il s'agit du g dans
le premier vers, du e dans le deuxième, et ainsi de suite,
de telle sorte que les quatorze vers du poème décrivent
"en négatif" le nom de Gérard de Nerval ("belle absente").]Dilatation [publiée en p. 34 du livre]
(Première étape)
Mon humeur est enfouie en pleine obscurité.
Celle qui fut ma femme a cessé d'exister.
Nul réconfort ne peut soulager mon chagrin.
J'étais un grand seigneur, le maître suzerain
De cinq départements au sud-ouest de la France.
Aujourd'hui le château qui fut ma résidence
Est réduit à néant, effacé, annulé.
Mon astre producteur d'énergie a brûlé
Comme une naine brune, et mon ancien théorbe
Parsemé de brillants et phosphorescents orbes
Est maintenant couvert d'un triste et ténébreux
Condensat de neutrons devenu poussiéreux.
Mon sang est saturé d'épaisse bile noire.
Ça va durer longtemps, cette gonflante histoire ?
(Deuxième étape)
Le liquide organique engendré par mon corps
A été enfoncé au tréfonds du décor
Dans une quantité maximale et massive
D'absence de lumière assez rébarbative.
L'être humain féminin que j'avais épousé
A choisi d'interrompre et de paralyser
Sa présence charnelle et sa vivante essence.
Rien de ce qui pourrait ranimer ma vaillance
N'a su me décharger de l'écrasant fourbi
D'un moral irrité fait de peau de brebis.
Autrefois je vivais plus haut que la moyenne,
Noble propriétaire aux florissants domaines.
J'avais l'autorité sur de nombreux vassaux.
On va vous épargner ce drame in extenso...
(Troisième étape)
L'incompressible fluide à l'écoulement doux
Composé de carbone et parfois de saindoux
Que mon anatomie matérielle, mon être,
A mis au monde comme un enfant pourrait naître,
A pénétré fort loin, se plantant tout au fond
Des plus secrets sous-sols, agrémentant plafonds
Et cloisons d'ornements, dans une multitude
D'unités de mesure atteignant l'amplitude
La plus grande que prend une valeur variable
En épaisseur, en poids, en substance palpable.
Ma mémoire défaille et je me sens distrait.
Les rayons électromagnétiques extraits
Des filaments ardents sont ingrats et revêches.
Avouez que ce texte inouï vous allèche !
(...) Gercel Dénarbou et Georard Perval[Chaque mot est remplacé par une définition en
alexandrins (application du procédé de « Littérature
Sémo-Définitionnelle poétique » inventé par
Marcel Bénabou et Georges Perec). Pour gagner de la place, seuls les premiers
quatrains ont été dilatés en treize vers à chaque
étape. Par un examen attentif, on pourra vérifier que la
troisième n'est qu'une tortueuse définition du simple mot
"ténébreux" de l'original.]Hétérogramme [publié en p. 113 du livre]
L'écu, tas noir
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T A R E C L U S I O N Ta réclusion
T I N O C U L E R A S t'inoculera sa nuit :
A N U I T L O R S E C l'or sec,
L A S T R E C O I U N l'astre coi.
Un roi ?
R O I U N C A S T E L Un castel nul !
N U L S I A T R O C E Si atroce Souci...
S O U C I L A N T R E
R O S E T U C A L I N L'antre rose :
tu câlines un corail.
E S U N C O R A I L T
O U T L A C S I R E N Tout lac, sirène,
E A L U S O N C R I T a lu son cri.
Tu as conté l'ire,
U A S C O N T E L I R ô lutin sacré.
E O L U T I N S A C R
E A R T I C U L O N S Articulons !
Gerges de Nerec
[Ce texte est composé d'anagrammes successives de la
série ESARTINULOC (lettres les plus courantes en français).
Cette forme de poème a été inventée par Georges
Perec, et mise en pratique avec virtuosité notamment dans ses
"Ulcérations".]Palindrome [non publié dans le livre]
Titre : Va t'égarer
Égarez nobliau !
Quel barême de ver, en ces ténèbres :
Mal, cavernes noires...
Lie l'os !
Sore*, un ru me cède sore,
La rurale rose de ce mur nu.
Éros, Soleil serions ?
En re-va clamser, benêt sec :
Ne rêve de mer à bleu quai !
L'bonze rage, re-rage, t'avertit...
Lavrène de Nerval
* Sore : amas de sporanges
[La suite des lettres est la même qu'on la lise du
début à la fin ou de la fin au début (palindrome).]Neutre [publié en p. 124 du livre]
Pobre aristócrata triste
(Pauvre aristocrate triste)
Je suis morne, morose et sombre, - solitaire,
Noble basque apatride aux tours fantomatiques :
Mon unique aide expire, - et mes orgues stellaires
Portent l'aveugle voile aux cours mélancoliques.
Par ces nocturnes morts, camarade sincère,
Rendez-moi l'insulaire oasis italique,
Les rose et mauve dont je reste légataire,
Et mes après-midi de fleuriste bachique.
Suis-je Louison, Camille ?... Ou Dominique, Claude ?
De vierge royaliste, enfant rouge mais chaste;
J'ai rêvé que nageaient d'aquatiques gymnastes...
Près de gîtes plutôt sataniques, je rôde,
Modulant à l'instar des harpistes orphiques
Des hymnes de fidèle ou d'athée féerique.
George Lesbrunâtres[Tous les mots peuvent être aussi bien masculins que féminins.
L'"oasis" du sixième vers n'est ni un clinamen ni une provocation :
de nos jours, ce substantif est en principe uniquement féminin, mais
quelques bons auteurs emploient sa forme masculine archaïque.]
[Trois bêtises pour terminer]
Patois [publié en p. 74 du livre]
Ol Dosduchida
(Lo Dóshórutó)
Jo seus lo tónóbroex, - lo voef, - l'uncansaló,
Lo prunco d'Iqeutiuno ì li taer ibaluo :
Mi soelo ótaulo ost marto, - ot man leth canstolló
Parto lo saloul naur do li Mólincaluo.
Dins li neut de tamboie, tau qeu m'is cansaló,
Ronds-mau lo Piesuluppo ot li mor d'Utiluo,
Li floer qeu pliusiut tint ì man caoer dósaló,
Ot li troullo aè lo pimpro ì li raso s'illuo.
Seus-jo Imaer ae Phóbes ?... Lesugnin ae Buran ?
Man frant ost raego oncar de biusor do li rouno ;
J'iu rôvó dins li gratto aè nigo li suròno...
Ot j'iu doex faus viunqeoer trivorsó l'Ichóran :
Madelint taer ì taer ser li lyro d'Arphóo
Los saepurs do li siunto ot los crus do li fóo.
Górird do Norvil[Cette traduction en patois a été obtenue par une
simple permutation circulaire des voyelles : AEIOU --> IOUAE ("voyelle+2").
Les accents de l'original ont été conservés.]Dissociated-press [non publié dans le livre]
El Desdichado, tourn' tourn' ton du Pausilippe, - et m'inhumant, toi
qui m'a tant étoile morte, - et jouant de sa lyre m'as schtroumpfolé,
Prince du Beaujourd'hui les donjon :
Suis-je Héra ? Sélené,
Voir de la Mélancolie
nous fait rigoler !
dira Tabarlène;
Et mon jaloux fois vainquième agit en terroriste près de Kirghizie,
J'étaisait à mon trèfle aschtroumpfie ou au film.
Film érotique avec une nuit a souche Biront.
Baiser de Chenas.
T'es Vasareligieus mon rêve en bouton,
Ondulant allouer à la sexualité et bariolé
offrant drôle, - et mon baiser de reine ;
Ô rêve dans le prote où rage le samaritaine, -
Vition que tu as nous gonfler
Rêves Soupirs/*
Si on thon rouget en est,
Dans notre ombre au front
Alliés
Rappelles à l'humanisme référard
Tu l'améliorer (le petit tableau que mon cons), travers
Entre Genève
une marque rouge au front allé,
Rends-moi la mélancolie
nous fait nova disparaît, carcéré : consolé,
Rends la tour du ciel le feu de
l'amantes et maîtres
Mon deuxième informatique des
ça va girofonde tu n'es jamaines.
J'avais l'anus ?... Le signan ou Phébus?... Lusignan ou Baiser de
Roducteur-réalisateur.
Monsieu commé,
Le paisse bile noire elle et la rose
Ma seule feu noir qui me sexuels c'est-à-dire quand elle pressentaine,
de La-Tour, renversé le temps
des rêves eu l'ivresseulé,
Et la Mélancolique
Tu chevrotte, et module sion,
Les chères et Ablon :
Le fanal a pénètre où baignent Tout noir et triste suis désolé,
Et la trouille en suspension, une rose s'allie.
Saint-Amour ? ...
Rappelle-toi
Quat' cintillement, son schtroumpfado
Je suis la la laids.
Si tombeau, six slips :
Dégourdi semant crainte et vertes, mais musclé.
Si tulippe, Capri, le solation,
PrinconsolabRUNIEr vers dont résiste sans ton lit
qui te fait de la tombe, ô tombeau bouquet,
Et ô miracle, aujolais tant,
Rends-moi mon Pausique font égalementaminouïe.
[Application de la commande "dissociated-press"
de l'éditeur de texte EMACS sur l'ensemble de nos
réécritures d'"El Desdichado",
à la date du 15 septembre 2000. Treize ans plus
tard, le 5/9/13, j'en ai programmé en PHP une
version dynamique tenant compte
de tous les Avatars de Nerval compilés
sur le site de Nicolas Graner.]Art conceptuel [non publié dans le livre]